ETAT DES LIEUX DE L’ENSEIGNEMENT EN FRANCAIS EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : ECUEILS ET OPPORTUNITES
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- 4 juin
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Résumé Dans un contexte marqué par la prolifération des crises qui résultent principalement du mauvais fonctionnement des dispositifs de régulation, cet article met en perspective de nouvelles solutions dont la trame de fond est la réorientation de la mondialisation. Ce qui veut dire que les marchés et la finance doivent être équilibrés par un État de droit efficace, et que l’économie est appelée à se ré-encastrer dans la société pour devenir plus humaine. L’article met en évidence le constat que la régulation internationale actuelle n’est rien d’autre que le fait des politiques du « Consensus de Washington ». Mais, l’effet net de ces politiques est d’avantager une petite minorité aux dépens de la grande majorité, les riches aux dépens des pauvres. C’est une telle situation qui aggrave l’état de l’Afrique, plongée déjà dans une crise multidimensionnelle permanente dont les symptômes les plus visibles sont : la crise de l’État-Nation, la crise du contrôle des frontières, la crise institutionnelle, la crise des modèles appliqués, la crise de la malédiction des ressources
Abstract In a world characterized by numerous crises stemming primarily from the ineffective functioning of regulatory systems, this article presents alternative solutions that revolve around the reorientation of globalization. This entails the need for markets and finance to be counterbalanced by a well-functioning state governed by effective laws, and for the economy to reconnect with society in order to prioritize human well-being. The article emphasizes that the current state of international regulation is essentially a product of the policies known as the "Washington Consensus". However, these policies disproportionately benefit a small minority while leaving the vast majority, particularly the poor, at a disadvantage. This exacerbates the already dire situation in Africa, which is grappling with a persistent multidimensional crisis manifested through various visible symptoms such as the crisis of the Nation-State, border control, institutions, applied models, and the resource curse. |
I. Le temps des turbulences et des poly-crises
Depuis 2008 l’actualité mondiale est dominée par les crises suivantes : la grande récession financière qui a commencé en 2008, la crise du coronavirus en 2020, la crise géopolitique en 2022la catastrophe écologique japonaise dont le symbole marquant est l’accident nucléaire de Fukushima, qui s’est déclenché le 11 mars 2011 ; la crise des régimes dans nombre de pays arabes (le printemps des peuples arabes), où les peuples se soulèvent depuis la fin de 2010 ; et la crise de l’Euro. A priori, ces événements d’envergure semblent n’avoir aucun lien. On pourrait même croire qu’il ne s’agit là que de simples épiphénomènes du cours de l’histoire universelle. La crise financière serait le fait d’un monde virtuel qui voit des milliers de milliards de dollars s’évaporer. La catastrophe de Fukushima quant à elle aurait pour origine la manipulation abusive d’une technologie exerçant, sur la nature, une pression insoutenable. Pour ce qui est du « fameux printemps des peuples arabes », il s’agit d’une révolte populaire massive contre des régimes qualifiés de « dictatures militaires ». La crise de l’Euro serait la conséquence d’une mauvaise gestion des finances publiques, et partant, une crise des déficits budgétaires considérables des Etats.
Pourtant, si chaque événement évoqué est spécifique en son genre, un dénominateur commun permet de lier tous ces événements : Il s’agit du dysfonctionnement du système capitaliste mondial. Partant de ce constat, Denis Duclot établit que ces crises ont en effet trois points communs : « Elles fragilisent des piliers cruciaux du système : sa base énergétique, son mode d’orientation du travail humain par l’argent et son besoin de stabilité politique, notamment en périphérie des centres libéraux » (Duclot 2011).
À y regarder de plus près, notre monde apparaît, à plusieurs égards, déliquescent. Il est frappé par une maladie que Samir Amin nomme le « virus libéral » (Amin 2003). Le symptôme le plus visible de cette maladie est le « triomphe de la cupidité » (Stiglitz 2010) et de la vénalité. Alors que le capitalisme, avec sa foi dans le libre marché et la mondialisation, était supposé œuvrer pour la prospérité et le bonheur de tous, aujourd’hui nous vivons « la grande désillusion » (Stiglitz 2002). Critiquant les politiques libérales de régulation mises sur pied par les institutions de Bretton Woods, le Fonds Monétaire International (F.M.I) et la Banque Mondial (B.M), Joseph E. Stiglitz constate « l’impact dévastateur que peut avoir la mondialisation sur les pays en développement, et d’abord sur leurs populations pauvres (ibid., p. 17). Dans cette optique, il établit qu’« aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l’environnement. Ça ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale » (ibid.). Ce n’est donc pas par hasard qu’Edgar Morin (2011), dans sonovrage « la voie », évoque l’idée de poly-crises en écrivant : « La globalisation ne fait qu’entretenir sa propre crise, son dynamisme suscite des crises multiples et variées à l’échelle planétaire » (Edgar Morin, 2011, p.21). Pis encore, Alain Greenspan, ancien patron de la réserve fédérale américaine a fini par reconnaître dans l’un de ses ouvrages que la finance mondiale est devenue un bateau ivre, déconnectée des réalités productives.
L’exaltation capitaliste de l’esprit vénal, du lucre, du gain, de la rentabilité excessive plonge le monde dans une situation inconfortable. Les répercussions de ce malaise montrent qu’il s’agit en vérité de la faillite d’un système conjuguée à une crise morale. Il apparaît clairement que le capitalisme est à bout de souffle, conséquence d’une « carence de développement humain et institutionnel » (Eloi Laurent 2011). Les mesures prises aujourd’hui par les Etats-Unis et l’Europe semblent ne pas être à la hauteur des défis[1]. Nous sommes là face à une crise d’accumulation et de régulation au niveau international. En outre, la crise financière qui est apparue en 2008 est due fondamentalement à l’absence de véritables dispositifs de régulation. La situation actuelle nécessite selon certains auteurs (Jacques Attali 2009), soit le retour à des marchés limités par des frontières et un état de droit national, soit la mise en place à l’échelle du marché mondial d’un État de droit, c'est-à-dire d’un système de gouvernement le plus démocratique possible, capable de réguler les marchés sans pour autant laisser une petite minorité d’initiés s’arroger les profits tirés des risques et du monopole des informations.
La question que pose Stiglitz témoigne de cette préoccupation essentielle. Aussi, s’interroge-t-il : « Derrière le problème du FMI, de toutes les institutions économiques internationales, il y en a un autre : celui de leur direction. Qui décide ce qu’elles font ? » (Ibid., p. 50). La réponse le plus évidente est que le système-monde induit et régulé par le capitalisme se présente comme une nébuleuse. Il s’agit en réalité d’une gestion mondiale sans gouvernement mondial. Nous sommes là face à un système où dominent quelques institutions – la Banque mondiale, le FMI, l’OMC – et quelques acteurs – les ministères des Finances, de l’industrie et du commerce étroitement liés à certains intérêts économiques et financiers –, mais où beaucoup de ceux qui sont touchés par leurs décisions n’ont pratiquement aucun droit à la parole. En effet, la régulation internationale actuelle n’est rien d’autre que le fait des politiques du « consensus de Washington ». Mais, l’effet net de ces politiques est d’avantager une petite minorité aux dépens de la grande majorité, les riches aux dépens des pauvres.
C’est une telle situation qui plonge l’Afrique dans une crise multidimensionnelle permanente dont les symptômes les plus visibles sont : la crise de l’Etat-Nation, la crise du contrôle des frontières, la crise institutionnelle, la crise des modèles appliqués, la crise de la malédiction des ressources. Ces crises multiformes( crise climatique, sanitaire, géopolitique et sécuritaire…), dont le continuum conceptuel est la « crise du développement », ont fini par générer une vision apocalyptique du continent africain, engendrant ainsi de forts relents afro-pessimistes[2]. Ces sentiments acrimonieux témoignent qu’en Afrique, nous vivons aussi une véritable crise de régulation dont la manifestation est l’effondrement de l’État africain.
À plusieurs égards, la mondialisation néolibérale semble ne pas être innocente de la tragédie de l’État africain. En effet, en dépit des espoirs suscités, la mondialisation n’a pas réduit la pauvreté, elle n’a pas non plus assuré la stabilité. Les États africains peinent toujours à lutter contre la pauvreté et à promouvoir le développement. Ceci est à la fois la responsabilité de ces États africains eux-mêmes en raison de la mal gouvernance qui y sévit, celle des pays développés en raison du comportement de leurs multinationales (évasion fiscale, fuite des capitaux, exploitation des ressources naturelles sans retombées apparentes sur les communautés locales), et les conditionnalités imposées aux Etats africains par les institutions internationales. Autant dire que le système économique international, tel qu’il a fonctionné jusqu’alors, n’a pas profité à l’Afrique. Cette dernière continue à occuper le statut d’acteur passif dans ce système. Ce n’est pas un hasard si l’émergence de nouvelles puissances économiques (Les pays d’Asie et d’Amérique Latine) soit attentivement scrutée par les pays africains, au regard de l’espoir de réformes de la gouvernance mondiale qu’elle véhicule.
II. Gouvernance et régulation néolibérales : une impasse
La double crise de régulation au niveau international et étatique prouve que le paradigme de la gouvernance néolibérale est à bout de souffle. Il se révèle que le néolibéralisme n’est pas le destin naturel des sociétés humaines, en dépit de l’optimisme suscité par un idéologue comme Francis Fukuyama qui en a fait l’horizon indépassable de toute forme de gouvernement humain (F. Fukuyama 1992). Contrairement à ce que soutient Fukuyama, l’histoire n’est pas à sa fin, mais semble cependant marquée la fin d’un cycle : la fin du néolibéralisme. C’est en cela que la théorie de la régulation est instructive, car elle pose le principe de l’historicité des modèles ou des théories économiques. Les théories économiques sont filles de l’histoire et non l’inverse. Les rendre atemporelles témoignerait à coup sûr d’une velléité idéologique que d’une certitude naturelle. L’un des facteurs les plus marquants du déclin du néolibéralisme est donc son mode de régulation qu’il faut questionner en le situant dans la perspective historique que lui donnent ces adeptes les plus résolus : les théoriciens de la postmodernité.
La gouvernance postmoderne
C’est sur le site-portail de l’Union européenne qu’on peut lire, dans le préambule de l’article « gouvernance », que le terme gouvernance « correspond à la forme postmoderne des organisations économiques et politiques[3] ». En adoptant ce terme en juillet 2001, l’Union européenne le place au cœur de la conception politique postmoderne telle qu’elle tente de s’imposer au détriment des approches modernes.
Fondamentalement, la postmodernité que Jean-François Lyotard considère comme l’état global de la culture contemporaine a pour critère de définition « l’incrédulité face aux métarécits » (Lyotard 1979) qui ont séduits les modernes. Selon lui, les catégories qui ont fait l’esprit de la modernité philosophique et scientifique, c’est-à-dire la raison, la dialectique, l’histoire, le progrès, l’État, le sujet, l’universalité, la liberté, etc., tombent en désuétude. La postmodernité, comme nouveau segment historique, exalte le relativisme et le flottement généralisés des valeurs. Ceci implique que le sujet se désaffilie et se désolidarise de grands ensembles (société, État, histoire commune, etc.,) pour suivre une trajectoire individuelle ou singulière. Aussi, peut-il se recréer son histoire, sa localité, son identité, au gré des désirs et en fonction des opportunités.
Ramener à une vie « privatiste », le sujet postmoderne se soucie d’abord de lui-même. C’est ce souci de soi qui est au cœur de la théorie de la gouvernementalité de Michel Foucault, lieu de préfiguration théorique de la gouvernance et de la régulation néolibérales. Cependant, pour mieux comprendre cette la théorie, il faut l’associer à la catégorie foucaldienne du biopouvoir, c’est-à-dire le processus par lequel les subjectivités façonnent leurs besoins, leurs relations sociales, produisent leurs modes de vie.
Chez Michel Foucault, le biopouvoir est une forme de pouvoir qui régit et réglemente la vie sociale de l’intérieur, en la suivant, en l’interprétant, en l’assimilant et en la reformulant. Sa fonction heuristique est de faire comprendre que le pouvoir ne peut obtenir une maîtrise effective sur la vie entière de la population qu’en devenant une fonction intégrante et vitale que tout individu embrasse et réactive de son plein gré. L’auteur de La biopolitique montre que la vie est maintenant un objet de pouvoir. Le biopouvoir a ainsi pour tâche d’administrer la vie. Concrètement, ce qui est en jeu dans un biopouvoir, c’est la production et la reproduction de la vie elle-même. En cela, dans le passage de la société disciplinaire à la société de contrôle que Foucault présente dans Surveiller et punir (1975), un nouveau paradigme de pouvoir se met en place. Il est défini par les technologies qui reconnaissent la société comme un domaine du biopouvoir. Mais, l’auteur souligne qu’ici, le pouvoir se défie de tout centre et se ramifie en réseaux.
On peut dès lors noter que la théorie du pouvoir diffus et de la subsidiarité constitue l’un des aspects essentiels de la gouvernementalité de Foucault. En ce qui concerne la théorie du pouvoir diffus, l’auteur affirme lui-même que la gouvernementalité revoie à un champ stratégique de relations de pouvoir dans ce que celles-ci ont de réversible, de mobile et de transformable. La gouvernementalité apparaît donc comme un espace de pouvoir fluide, avec une faible tendance de hiérarchisation et où les foyers de pouvoir sont infiniment nombreux. Pour ce qui est du principe de subsidiarité – dont la charge libérale et antiétatique est évidente –, elle repose sur la nécessité de déléguer les pouvoirs, et de laisser les instances locales et régionales prendre les décisions qui leur conviennent. Ces deux principes peuvent être complétés avec l’idée de la relativisation du pouvoir et de la réversibilité des fonctions. Ceci veut dire que les acteurs politiques ou administratifs doivent cesser de s’identifier à leur statut. L’activité politique et administrative relevant d’un acte de volonté personnelle et le pouvoir s’exerçant au sein d’un réseau, l’individu apprendra rapidement à être tantôt gouvernant, tantôt gouverné.
Dans ce cas précis, on évitera la « césarisation » en empêchant la cristallisation des rôles et des fonctions. En se situant dans cet espace théorique, on comprend mieux pourquoi, « les adeptes du néolibéralisme n’arrêtent pas de taper sur l’Etat et sa bureaucratie. Ils n’y voient que tares ». Or, comme l’a montré Samir Amin (2003, p. 88), l’absence de bureaucratie dans un pays comme les USA par exemple constitue « le moyen par lequel le pouvoir politique conservateur confie la mise en œuvre de ses programmes à des clientèles passagères irresponsables, recrutées largement dans les milieux d’affaires (et donc à la fois juge et parties) (ibid., p. 81).
Tout laisse voir qu’il y a un lien tangible entre la gouvernabilité de Foucault et la gouvernance postmoderne. Ali El Kenz le souligne quand il note que « Gouvernance de l’État et gouvernabilité des citoyens sont les deux faces d’une même réalité, celle de la société comme corps politique. » (Kenz, 2010, p. 2). Ce que Kenz semble omettre dans ces vues, et que Samir Amin établit, c’est que la gouvernance, dans sa trajectoire néolibérale, impose une nouvelle rationalité de la gestion du corps politique. Se démarquant de toutes les approches traditionnelles de la notion[4], la gouvernance néolibérale s’assimile à la vielle notion anglo-saxonne de « corporate governance ».
En effet, sa naissance remonte à 1937, année où Ronald Coase jette ses bases en posant que ce sont les relations de coopérations internes à l’entreprise qui permettent d’éliminer ou de réduire ce que l’on va dénommer les « coûts de transactions » entrainés par l’acquisition de biens et services à l’extérieur (contrats, négociations, vérifications, définitions de normes de qualité, recherche des meilleurs prix…). Cette gestion entrepreneuriale va s’étendre à tout le corps social. Pour cette raison, Hermet est conduit à affirmer que, « de la sorte Coase n’invente pas seulement la future gouvernance d’entreprise. Il inaugure le néo-institutionnalisme, cette école qui, à partir de ce moment, sort du cadre étroit des relations sociales et politiques ou également l’histoire […]. Dès cette première phase, la gouvernance se transforme en fait en une métaphore de la politique, conçue comme un système en réseau régissant les relations d’acteurs réunis avec l’objectif d’engendrer un profit ou même une meilleure gestion. » (Hermet 2005 : 27).
Faisons remarquer tout de suite que la corporate governance, séduit par le néolibéralisme, loin de renvoyer à une extension de la démocratie, ne désigne rien d’autre que la prise de pouvoir du capitalisme financier sur le capitalisme industriel, caractérisé, au premier chef, par le fait de ne plus considérer le personnel que comme un facteur de coût parmi d’autres. Ce pouvoir impérial de la finance est qualifié par certains analystes de « dictature des actionnaires ». À ce sujet, Dany-Robert Dufour souligne que ce ne sont plus les objectifs industriels qui sont prioritairement pris en compte, mais les objectifs de rentabilité maximale pour les actionnaires, qui aboutissent souvent à des licenciements de convenance boursière dans des firmes cependant prospères ou à une liquidation de secteurs considérés comme pas assez rentables (D-R. Dufour 2007, p. : 144).
Les actionnaires sont maîtres du jeu dans la gouvernance néolibérale. La raison en est que le capital qu’ils apportent a un coût. Et, ce coût est évaluable. Ainsi, le MEDAF (Modèle d’évaluation des actifs financiers) permet de déterminer ce coût. Les actionnaires exigent donc une juste rémunération pour le risque pris. Pour cette raison, il faut se garder de tout sentiment. Les actionnaires sont toujours à la recherche des placements rentables. Il s’ensuit une forte pression que subissent les chefs d’entreprises : « nous sommes avec la corporate governance dans un univers prosaïque où tout se vend et s’achète et c’est justement pour cette raison qu’il a fallu rémunérer la pression nouvelle que les actionnaires faisaient subir aux chefs d’entreprise. » (Ibid., p. 146).
Ce qui inquiète dans ce modede régulation, c’est que les exclus du jeu sont les salariés ordinaires, pourtant principaux producteurs de richesse. Aux dires de Dufour, ils se sont mis à distance, affectés de tous les phénomènes attenants : invention d’un salariat « kleenex » et développement des emplois précaires, baisse de la représentation syndicale, démoralisation, imprévisibilité des réactions. Les petits salariés étant mis de côté, le mode de gestion de l’entreprise connaît une innovation qui est l’assouplissement des rapports hiérarchiques au sein du management. Ce mode de gestion se doit d’être plus « souple » et moins « autoritaire », car grâce à lui, « des groupes actifs dans l’histoire peuvent atteindre des objectifs exactement contraires à ceux qu’ils s’étaient fixés ». C’est précisément de cette modification de rapports d’autorité dans le management d’entreprise que résulte le « nouvel esprit du capitalisme », analysé par les sociologues Luc Bolstanki et Eve Chiapello – le vieux capitalisme autoritaire se révélant, contre toute attente, capable d’intégrer la « critique artistique » issue du mouvement culturel des années 1960. (Ibid., p. 148)
La corporate governance procède de ce fait d’une imposition des contraintes financières par les actionnaires. Une telle imposition est obtenue par l’intériorisation des normes issues du modèle du marché dans les rapports sociaux où chacun est prié de s’autoévaluer, de s’autocontrôler, de faire preuve d’initiative et de responsabilité. C’est la logique mise au point pour gérer les entreprises passées sous la coupe du capital financier qui est, en peu de temps, devenue le modèle de gestion et de régulation publique.
« Bonne gouvernance » : la règle d’or de la privatisation
La renaissance néolibérale de la gouvernance sous la coupe conceptuelle de la corporate governance nous situe dans une orientation davantage économique que politique. Ali Kazancigil note à ce sujet que « la gouvernance est, pour ainsi dire, génétiquement programmée en tant que mode de gestion reflétant la logique de l’économie capitaliste. Elle ne s’inscrit pas dans la raison politique, mais dans la raison économique. » (A. Kazancigil 2005 : 54) Pour être plus précis, il montre que la gouvernance est de nature apolitique. Elle opère selon une logique instrumentale du marché induisant une sectorialisation et une fragmentation de l’action. Marquée par un « tropisme technocratique », elle tend vers la « privation de l’action politique sectorialisée ». Considérée sous cette forme, Kazancigil précise que la gouvernance n’a rien d’un mode de gestion démocratique des affaires concernant l’ensemble de la communauté politique (Ibid). Pourtant, on veut sanctifier ce concept en lui affectant l’adjectif « bonne ». La bonne gouvernance est alors présentée comme « une forme avancée de la démocratie », « de la participation », « de la proximité avec les citoyens », « de la transparence et de l’efficience », qui ouvrent la voie à la perspective de l’autogouvernement ou de ce que la terminologie anglo-saxonne appelle « self-rule ». Kazancigil souligne ainsi, pour le déplorer, que des vessies de la gouvernance technocratique sont prises pour des lanternes de la démocratie avancée. À la manœuvre de cette nouvelle rationalité politique, il y a la Banque mondiale (BM), le Fonds monétaire international (FMI) et les agences dites de coopération, dont le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
L’un des objectifs essentiels affiché par ces structures internationales c’est le contrôle de l’usage des aides au développement de façon à obtenir des taux de croissance élevés qui permettent le développement du commerce international, notamment dans les pays en voie de développement qui connaissent des ratés importants. L’assimilation de la gouvernance à la corporate governance ne relève donc pas d’une comparaison approximative. Mais, plutôt, elle doit s’entendre de façon littérale. Dans ce sens précis, on constate que la Banque mondiale, le FMI et le Pnud joue, vis-à-vis de ces pays, le rôle exact que les actionnaires tiennent dans les assemblées d’investisseurs en exigeant 15% de rentabilité (D - R. Dufour 2007 : 151). Pour réaliser cette performance, il est exigé du pouvoir local en exercice de gérer les ressources économiques et sociales du pays en faveur des secteurs de production les plus rentables, de façon à maximiser les échanges commerciaux avec les pays du centre. En outre, il est aussi demandé à l’État de cesser de faire des dépenses improductives et de se désengager de bon nombre d’initiatives qu’il est contraint de laisser aux privés. Dans ce sens, certains analystes soutiennent que « l’administration publique a alors pour mission non plus de servir l’ensemble de la société, mais de fournir des biens et des services à des intérêts sectoriels et à des clients-consommateurs, au risque d’aggraver les inégalités entre citoyens et entre régions du pays. »
Comme conséquence, il s’ensuit que le personnel politique en place est paradoxalement mis à contribution pour réduire le politique, c’est-à-dire détruire toute forme existante ou subsistante de l’État garant de la souveraineté économique et de l’État-providence, en vendant les entreprises publiques et en « assainissant » les dépenses de l’Etat destinés à maintenir un minimum de bien-être en faveur de la population, notamment dans les secteurs clés du social, de l’éducation et de la santé. Ce qui est en jeu ici, c’est la mise sur pied d’une « politique très intrusive » que pratiquent ces structures internationales dans les pays « aidés ». Pour ces structures, le marché est présenté comme infaillible. Une telle position dogmatique les a conduits à « stéréotyper » leurs « prescriptions » et à les appliquer quelle que soit la situation du pays qui leur demande un soutien. La panacée comprend trois ingrédients principaux :
- La privatisation des moyens de production ;
- L’ouverture du pays à la concurrence internationale ;
- La libéralisation du secteur financier.
Nous sommes là face au fameux « Consensus de Washington ». En toile de fond, ce qui n’est pas explicitement dit dans ces « prescriptions », c’est cette politique particulièrement intrusive qui désubstantialise l’État en le dépossédant de toute sa souveraineté. Le cas le plus actuel est celui de la Grèce. Le peuple grec se sent émasculé de toute souveraineté face aux prescriptions d’austérité que lui imposent Bruxelles et le FMI quant à la relance de son économie. Aussi, quand bien même on peut évoquer les raisons internes de la faillite économique de cet État, comme le prétendent certains analystes, les prescriptions de Bruxelles et du FMI restent une politique intrusive. En effet, La stratégie adoptée par les agences internationales de développement ressemble bien à un « manteau d’Arlequin » qui consiste à habiller, avec intelligence et ruse, ces brutales politiques d’intrusion en vue du démantèlement de l’Etat dans un discours démocratique. Il s’ensuit que le respect de la primauté du droit du commerce international sur le droit national, la bonne gestion des affaires publiques, désignera des coupes sombres dans les budgets sociaux. Le développement durable voudra surtout dire de nouvelles opportunités de faire des affaires ; le respect de l’environnement va correspondre à l’établissement de normes de pollution compatibles avec les projets industriels ; et lutte contre la pauvreté sera fait au nom de l’éradication d’activités archaïques.
Un modèle de régulation inapproprié et désavoué
Le constat est clair : cette doctrine libérale a conduit la gouvernance mondiale à l’impasse. Plus personne n’y croit depuis que Joseph Stiglitz, ex-employé de la Banque Mondiale a révélé l’ampleur du problème. Pour cet auteur, en effet, les problèmes des pays en développement sont difficiles, et le FMI est souvent sollicité dans les pires situations quand il y a crise. Mais, ses remèdes ont échoué aussi souvent – ou même le plus souvent – qu’ils n’ont réussi. Ses politiques d’ajustement structurel (les mesures censées aidés un pays à s’ajuster face à ces crises et à des déséquilibres chroniques) ont provoqué dans de nombreux cas, des famines et des émeutes ; et même, quand elles ont réussi à susciter une maigre croissance pour un temps, une part démesurée de ces bénéfices est souvent allée aux milieux des plus riches de ces pays en développement, tandis qu’au bas de l’échelle, la pauvreté s’est parfois aggravée (J. Stiglitz, 2002 : 24).
Même si, au forceps, la doctrine libérale de la régulation sociale est vantée à toutes les échelles (gouvernance locale, gouvernance urbaine, gouvernance territoriale, gouvernance mondiale, etc.), elle a montré ses limites et s’est même muée en un « virus » au sens indiqué par Samir Amin, car ce virus provoque chez ses victimes une « curieuse schizophrénie » :
« L’être humain ne se [vivrait] plus comme un être total, s’organisant pour produire ce qui est nécessaire pour satisfaire ses besoins (ce que les savants ont qualifié de « vie économique ») et simultanément développant des institutions, des règles et des coutumes lui permettant de s’épanouir (ce que les mêmes savants ont appelé « la vie politique »), conscient que les deux étaient insécables. Il [vivrait] désormais tantôt comme « homo oeconomicus », abandonnant ce qu’il appelait le « marché » le soin de régler automatiquement sa « vie économique », et tantôt comme « citoyen » déposant dans les urnes les bulletins par lesquels il [choisirait] ceux qui [auront] la responsabilité de fixer les règles du jeu de sa « vie politique ». (S. Amin 2003 : 8)
Selon Samir Amin, dans le libéralisme, l’efficacité sociale est confondue avec l’efficacité économique et celle-ci avec la rentabilité financière. Dans ce sens, la politique est subordonnée à l’économie donnant ainsi lieu à ce qu’Aristote qualifie de « chrématistique artificielle », c’est-à-dire de mauvaise chrématistique. La mauvaise chrématistique est celle où l’économie, destinée et circonscrite dans un espace domestique, connaît une excroissance pour s’ingérer et supplanter le politique.
Le point de chute de cette nouvelle rationalité libérale c’est l’évanouissement et le dépérissement de l’État. Ce dernier est réduit simplement à veiller au bon fonctionnement du marché libre. En particulier, il doit protéger la propriété privée et la liberté d’entreprendre. Toute intervention extérieure à la société de marché peut perturber cette liberté, et l’État doit offrir la garantie que la concurrence sera libre et non faussée. Précisons que l’État bureaucratique moderne par exemple était d’essence constructiviste et à vocation interventionniste. De nos jours, le néolibéralisme veut en finir avec cette vocation pour privilégier le pur contractualisme marchant. Que le néolibéralisme affirme l’immanence absolue de la société de marché implique que le marché constitue l’unique facteur de régulation sociale, à l’exclusion de tous les autres.
C’est exactement à ce niveau que la démocratie de marché entre en contradiction avec la démocratie politique et sociale. Cette dernière introduit dans l’ordre naturel, des éléments extérieurs qui sont susceptibles de perturber son bon fonctionnement, par exemple, par la réalisation des vœux des électeurs en matière de politiques sociales. Aussi, aucune action extérieure, en particulier celle qui émane de l’Etat politique ou social ne doit perturber cet ordre contractuel marchand.
III. Gouverner et humaniser la mondialisation dans un contexte d’absence du « gouvernement mondial » : la démondialisation
Nous trouvons pertinente, l’hypothèse selon laquelle « l’anticapitalisme et le refus de principe du marché constituent les ressorts d’une réponse politique convaincante » (E. Laurent 2009 : 8). En effet, le capitalisme libéral mondialisé a usé en permanence de sa force pour s’ouvrir des marchés et modifier, à sa convenance, les termes de l’échange. Selon Jacques Sapir, « dans ce fétichisme de la mondialisation, il y a eu beaucoup de calculs et de mensonges » (J. Sapir 2011). Après le bilan de cette mondialisation marchandisation du monde, il est impérieux et urgent d’en sortir. Alors que jusque-là les chantres du néolibéralisme ont vanté les vertus de l’économisme, il est nécessaire que « l’histoire et la politique reprenne leur droit ». En rupture nette avec le mythe du doux commerce autorégulé, nous comprenons aujourd’hui que l’Etat est finalement le garant en dernier ressort de toutes les erreurs du capitalisme financier, du passé, du présent comme du futur. (R. Boyer 2009 : 22).
Il y a un besoin de démondialisation. Ce besoin impose une reprise des analyses de la situation économique pour inverser ou réorienter le processus de la mondialisation en cours. Cela suppose qu’une autre mondialisation est possible, notamment celle qui s’enracine dans ce que Jacques Généreux appelle l’« économie humaine ». L’économie humaine est différente de « l’économie libidinale » (J-F Lyotard 1974), propre du capitalisme libéral. Contrairement au « libidinalisme » libéral qui exalte une rentabilité et une vénalité féroces pour un hédonisme débridé, l’économie humaine entend « exprimer l’adhésion à une finalité et à une méthode » (J. Généreux 2011). La seule finalité légitime de l’économie est le bien-être des hommes, à commencer par celui des démunis. Généreux se veut plus analytique quand, précisant le concept de bien-être, il affirme qu’il faut entendre :
« La satisfaction de tous les besoins des hommes. Pas seulement ceux qui comblent les consommations marchandes, mais aussi l’ensemble des aspirations qui échappent à toute évaluation monétaire : la dignité, la paix, la sécurité, la liberté, l’éducation, la santé, le loisir, la qualité de l’environnement, le bien-être des générations futurs, etc. » (ibid.)
Il s’ensuit que les méthodes de l’économie humaine ne peuvent que s’écarter de « l’économisme et du scientisme de l’économie mathématique néoclassique qui a joué un rôle central au XXe siècle ». L’économie humaine peut donc être mieux précisée. Selon Généreux, il s’agit, à tous les égards, d’une économie d’un homme complet qui inscrit son action dans le temps (et donc dans l’histoire), sur un territoire, dans un environnement familial, social, culturel et politique. Il s’agit bien de l’économie d’un homme armé par des valeurs et qui ne résout pas tout par le calcul ou l’échange, mais aussi par l’habitude, le don, la coopération, les règles morales et les conventions sociales, le droit, les institutions politiques, etc. On comprend ici que l’économie humaine prend en compte un ensemble de variables : l’histoire, la politique, le social, le culturel, l’écologique, etc. Il ne s’agit plus de se méprendre sur un positivisme économique qui fait du « fait économique » un « fait social total », mais de rentrer au fondement même des sciences économiques « économie politique » ou « sciences sociales ». La mathématisation et la formalisation de l’économie par les néoclassiques libéraux a fini par créer ce que Samir Amin appelle une « économie pure ». Mais, averti Samir Amin :
« L’économie « pure » n’est pas une économie du monde réel – le capitalisme réellement existant – mais celle d’un capitalisme imaginaire. Elle n’est pas même une théorie rigoureuse de celui-ci, dont les fondements et le développement des arguments méritent le qualificatif de « cohérents ». Elle n’est qu’une para-science, plus proche en fait de la sorcellerie que des « sciences de la nature » dont elle prétend imiter le modèle. » (S. Amin 2003 : 11-12).
Dans cette perspective et à l’instar de l’analyse d’Edgar Morin, la nouvelle alternative est celle qui combine mondialisation et démondialisation. Ce qui veut dire que « s’il faut multiplier les processus de communication et de planétarisation culturelles, s’il faut que se constitue une conscience de Terre-Patrie, conscience d’une communauté de destin, il convient aussi de promouvoir le développement du local dans le global. La démondialisation donnerait une nouvelle viabilité à l’économie locale et régionale. La démondialisation signifie aussi le retour d’une autorité des États, abandonnée dans les privatisations au profit d’un capitalisme cupide.
IV. L’Afrique dans la gouvernance mondiale
Si l’usage du concept de gouvernance mondiale devient de plus en plus courant, la dernière crise financière lui a donné un nouvel élan, dans la mesure où elle a propulsé au-devant de la scène, la question de la régulation mondiale. Elle a eu le mérite de mettre en évidence les limites des mécanismes de régulation qui ont prévalu jusque-là et la nécessité de « gouverner » et d’« humaniser » la mondialisation dans un contexte d’absence du « gouvernement mondial ».
De même, si le concept de gouvernance a réussi à investir plusieurs champs de recherche et à divers échelons de décision, son application au niveau des relations internationales reste problématique. En effet, l’absence d’une « bonne gouvernance mondiale » s’explique par le refus des puissances classiques (les anciens pays industrialisés) de démocratiser le processus de prise de décision au niveau international. En outre, les Etats-Nations deviennent trop petits pour gérer des problèmes internationaux et se voient, par conséquent, contraints d’abandonner une partie de leur souveraineté aux institutions internationales. Toutefois, la délégation d’une partie de la souveraineté de l’État à ce que l’on peut appeler « l’espace monde », est sujette à caution dans la mesure où le fonctionnement des institutions internationales – chargées de la gestion de cet espace mondial, laisse à désirer en ce qu’il reflète exclusivement les intérêts des puissances traditionnelles.
Du coup, l’architecture institutionnelle internationale, héritée de la période postcoloniale et, précisément, de l’immédiat après-guerre, est loin de traduire les enjeux actuels de la mondialisation marqués par la succession des crises protéiformes et l’émergence de nouvelles puissances issues des pays en développement. En effet, la part de nouvelles puissances émergentes dans le PIB mondial et le mouvement des Investissements Directes Etrangers (IDE) n’a cessé d’augmenter pendant la dernière décennie (voir annexe ci-après).
Source : JAFFRELOT, 2008
Si en 1990, 91,4% des firmes multinationales sont issues des pays développés, au début des années 2000, ce ne sont plus que 70,7% d’entre elles qui sont dans ce cas. Ainsi, le fait majeur de cette décennie est l’essor des firmes multinationales issues des pays du Sud. Force est de constater que le nombre de FMN issues des pays du Sud est passé de 2800 à presque 18000 entreprises. Un chiffre largement porté par les multinationales asiatiques qui sont passées de 5,8% à 21,2%. Dans ce mouvement, les firmes chinoises et indiennes voient leur nombre augmenter progressivement. Cet essor s’explique par la montée en puissance d’un système de production intégré dans lequel plusieurs pays asiatiques globalisent leur système de production sur plusieurs pays du continent. Par conséquent, les IDE en provenance de ces pays se multiplient, les fusions-acquisitions provenant du Sud le sont aussi. Cette évolution est tirée à la fois par les échanges et le commerce international inter-entreprises, et l’émergence des processus de production mondiaux intra-entreprises. Tout compte fait, la part de ces multinationales du Sud dans les IDE et le mouvement des fusions-acquisitions a considérablement augmenté en passant de 10 milliards en 1993 à 80 milliards en 2005, dont la moitié est originaire d’Asie.
En outre, c’est en Asie où a lieu une bonne partie de l’épargne mondiale. Les pays asiatiques et, notamment la Chine, ont tendance à développer leurs propres centres financiers. Du coup, les Etats-Unis ne sont plus la principale source de capitaux au monde. De plus, les trois premières banques du monde sont chinoises (Stiglitz 2010). Aussi, la chine aide à financer les déficits budgétaires massifs des Etats-Unis et à racheter la dette de certains pays européens. Dès lors, nous nous retrouvons dans un processus de basculement du monde en faveur des pays d’Asie. En effet, la part des pays émergents dans la richesse mondiale est en constante augmentation. Elle s’établirait en 2030 à 57% du PIB mondial. Ce qui en dit long sur les contours de la nouvelle gouvernance mondiale en gestation
Partage du PIB mondial, en parité de pouvoir d'achat, en%
En effet, l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur la scène internationale est susceptible de générer des changements notables au niveau de la gouvernance mondiale, qui est demeurée pendant longtemps exclusive en intégrant que les pays sortis vainqueurs de la deuxième guerre mondiale et les économies les plus performantes de la planète (G8). De ce fait, La création du G20 est l’illustration de ce monde changeant qui ne ressemble en rien à celui d’avant.
La pression exercée par les nouvelles puissances se matérialise par la constitution de blocs solidaires (Ben Hammouda 2005) pour exiger un rôle important dans le processus mondial de prise de décision et demander des concessions des pays développés par rapport à la prise en compte de la dimension de développement dans les relations internationales. A cet égard, la constitution du G20 en 1999, est révélatrice de ces changements qui affectent la gouvernance mondiale. Il s’agit d’un groupe comportant 20 pays en développement qui comporte de grandes puissances montantes comme l’Inde, le Chine, le Brésil, la Pakistan, l’Argentine, l’Afrique du Sud et l’Egypte. Le G20 regroupe les 20 pays les plus puissants de la planète. Depuis sa création, il s’est mis en veilleuse. La crise économique internationale lui a redonné des couleurs. Elle lui a permis de se positionner comme acteur capable d’assurer la régulation et la coordination de la mondialisation économique. En effet, dans un contexte de crise, le G20 avait d’avoir coordonné les politiques de relance. De l’autre côté, il a réussi, du moins en apparence, à mettre sur pieds une nouvelle régulation financière internationale. Toutefois, le G20 en tant que nouvelle instance supranationale informelle tarde à mettre en œuvre ses politiques dans la mesure où les États manifestent leur résistance à son égard en refusant de se voir imposer leurs politiques économiques par cette instance (problème de souveraineté des Etats).
L’Afrique n’est pas en reste de ce basculement du monde. Effectivement, nous observons ces dernières années la présence en Afrique d’une pléiade d’acteurs issus des pays émergents[5] (Chine, Inde, Brésil, Singapour, Hong Kong, etc.). D’où le regain d’intérêt que suscitent ces nouvelles puissances pour le continent. Toutefois, aussi bien pour les anciennes que pour les nouvelles puissances, l’intérêt pour ce continent est motivé principalement par des considérations énergétiques et minières. On peut, tout de même, souligner l’importance de cette nouvelle situation pour l’Afrique en ce sens que l’irruption de nouvelles puissances sur le contient est synonyme à la fois d’une diversification des partenaires et de sources de financement. Ce qui laisse entendre la multiplicité des stratégies, des modes de pénétration et d’intégration dans les économies locales africaines[6]. Cela est d’autant plus intéressant que les relations commerciales et financières entre l’Afrique et les nouvelles puissances ne sont assorties d’aucune conditionnalité politique ou économique.
Ce qui signifie, une nouvelle marge de manœuvre pour les États africains dans l’élaboration des politiques économiques de développement. En d’autres termes, la diversification des partenaires en Afrique traduit la concomitance de deux modes de gouvernance : la « bonne gouvernance » imposée par les anciennes puissances à l’Afrique et la « gouvernance neutre[7] » émanant de nouvelles puissances. En dernière instance, l’Afrique se trouve devant une nouvelle opportunité de développement, marquée par l’essoufflement du modèle de développement occidental, qui a inspiré les dirigeants africains jusque-là, et l’émergence d’un nouveau modèle asiatique reposant sur « l’État stratège ». Les États africains sauront-ils faire la synthèse des deux modèles et par conséquent, élaborer de nouvelles stratégies de développement basées sur la diversification de la structure productive et le développement humain ?
Tableau : Chine-Afrique, volume de transactions bilatérales
Année | Volume de transactions bilatérales en dollars US |
1950 | 12,4 millions de dollars US |
1960 | 100 millions de dollars US |
1980 | 1 milliard de dollars US |
2000 | 10 milliards de dollars US |
2010 | 115 milliards de dollars US |
2011 | 160 milliards de dollars US |
Source : Africa progress panel 2012
Tout en étant conscient du poids des facteurs internes dans le développement de l’Afrique, le reste de cet article est consacré au diagnostic de la mal gouvernance mondiale, considérée comme un des facteurs du blocage des économies africaines.
La nécessité d’une gouvernance plurale
Le concept de « bonne gouvernance » a été imposé par les Institutions internationales à l’orée des années 1990 comme nouvel outil de développement en ce qu’il met l’accent sur la place de l’État de droit, le droit de propriété et des institutions dans le développement. La légitimité des institutions instigatrices de ce concept se pose avec acuité. En effet, la « bonne gouvernance » est imposée aux pays en développement par des institutions qui semblent en ignorer les principes de base dans leur fonctionnement interne. Le processus de prise de décisions adopté par ces institutions exclut nettement les pays destinataires de leurs prescriptions. Or, la logique participative sur laquelle insiste le concept de « bonne gouvernance » au niveau national, devrait accorder une place de choix aux pays en développement dans les décisions les concernant. En outre, l’efficacité des politiques recommandées et imposée par les IFI aux pays en développement est un autre élément qui remet en cause leur légitimité. En témoignent, les Programmes d’Ajustement Structurel et le Consensus de Washington qui ont été les vecteurs de la mise en conformité des pays en développement avec les principes régissant « la mondialisation ». Les échecs ont été patents (Uzunidis 2009).
Force est de constater que les politiques d’ajustement structurel imposées par les IFI aux États africains les ont privés des moyens d’action traditionnels. Du coup, l’État peine à se réformer[8] pour imposer sa volonté face à l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale. Par gouvernance mondiale, nous entendons :
« L’ensemble cohérent des règles coercitives, des formes, des modalités, des moyens de concurrence et de coopération entre les acteurs économiques dont le but est d’organiser les activités économiques publiques et privées au niveau mondial sans discrimination apparente et sans traitement préférentiel, bref c’est ce que concrétise un système de gouvernance mondiale » (Uzunidis, 2002, 2006 ; Uzunidis, Yacoub, 2009).
Dans ce contexte, l’établissement des règles supranationales devient un élément primordial de la gouvernance mondiale. De tout temps, en effet, les pays les plus puissants (ceux qui détiennent des avantages technologiques, qui possèdent des armes très sophistiquées et une monnaie internationale), participent au commerce mondial conformément à leur intérêt en imposant des règles internationales (termes de l’échange, libre échange…), qui leur sont favorables.
Il est à signaler que les IFI souffrent d’une espèce de « mal gouvernance mondiale ». Ce qui se traduit par une vision restrictive de développement et une marginalisation du rôle des États faibles dans le processus mondial de prise de décisions. Ce qui nous amène à faire la typologie de la « mal gouvernance mondiale ».
Figure : typologie de la mal gouvernance mondiale

La mal gouvernance économique
La mal gouvernance économique mondiale s’explique à la fois par l’inefficacité des politiques économiques imposées par ces institutions internationales[9] aux pays en développement et l’instabilité financière mondiale, ainsi que l’absence d’une régulation financière internationale. En effet, malgré le bilan peu convaincant des politiques d’ouverture des marchés, les institutions financières internationales tiennent toujours à la politique économique neutre et la logique du moins d’État à long terme. Quoiqu’il en soit, les PED n’étaient pas en position de contrer les commandements des politiques d’ajustement structurel ; le FMI et la Banque mondiale ayant subordonné leurs prêts à l’adoption des politiques économiques conformes aux « 3 D ». En effet, les excès de la conditionnalité ont été l’une des grandes critiques faites au FMI et à la Banque mondiale.
Malgré le fait que l’Afrique est de plus en plus affectée par les défaillances de la gouvernance mondiale, sa faible représentation au niveau des instances internationales, essentiellement le FMI et la Banque mondiale, ne lui permet pas de jouer le rôle qui lui incombe dans la refonte de cette gouvernance mondiale. Comme le montre le schéma ci-après, la représentation de l’Afrique subsaharienne au FMI et à la Banque Mondiale est loin de refléter son potentiel économique et démographique. En effet, si les conseils de direction de la Banque Mondiale et du FMI comprennent 24 directeurs exécutifs, avec un directeur exécutif pour chaque groupe de pays, l’Afrique subsaharienne n’est représentée que par deux groupements qui possèdent moins de 5% du nombre de votes.
Figure : Part des votes africains et d’autres pays à la B M et au FMI
Groupe des pays | Part des votes au FMI | Part des votes à la BM |
Azerbaïdjan, République kirghize, Pologne, Serbie, Suisse, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan | 2,8% | 3,2% |
Angola, Botswana, Burundi, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Kenya, Lesotho, Liberia, Malawi, Mozambique, Namibie, Nigeria, Sierra Leone, Afrique du Sud, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Ouganda, Zambie | 3% | 3,5% |
Arabie Saoudite | 3,2% | 2,4% |
Bahreïn, Égypte, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maldives, Oman, Qatar, République arabe syrienne, Émirats arabes unis, Yémen | 3,2% | 2,2% |
Afghanistan, Algérie, Ghana, Iran, Maroc, Pakistan, Tunisie | 2,4% | 2,5% |
Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Cap-Vert, République centrafricaine, Tchad, Comores, République Démocratique du Congo, République du Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Guinée équatoriale, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Madagascar, Mali, Île Maurice, Niger, Rwanda, São Tomé et Príncipe, Sénégal, Togo | 1,3% | 2,8% |
États-Unis d'Amérique | 16,7% | 17,2% |
Allemagne | 5,9% | 5,2% |
Chine | 3,7% | 2% |
France | 4,9% | 4,4% |
Source : Africa Progress Panel, 2010
Un autre aspect de la mal gouvernance économique mondiale est le commerce mondial. À cet égard, les accords de commerce internationaux n’ont apporté que peu de bénéfice aux pays africains. À ce sujet, Stiglitz écrit :
« Ils autorisaient les pays industriels avancés à lever sur les produits des pays en développement des droits de douane en moyenne quatre fois plus élevés que ceux qui frappaient les produits des autres pays industriels avancés. Et, tandis que les pays en développement étaient contraints de supprimer toute aide publique à leurs industries naissantes, les pays industriels avancés étaient autorisés à maintenir leurs aides gigantesques à l’agriculture, qui font baisser les cours des denrées et pèsent sur les niveaux de vie dans les pays en développement. » (Stiglitz 2006 : 47).
La création de l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce), est caractéristique du rôle accordé aux échanges commerciaux entre pays et leur réglementation. Dans ces conditions, les négociations commerciales menées par les pays industriels sous les auspices du GATT ont contribué à la réduction des droits de douane sur les produits manufacturés, qui sont l’avantage comparatif des pays industriels avancés et donné ainsi le coup d’envoi à un nouveau régime commercial mondial[10].
Force est de reconnaître que les négociations internationales se déroulent sous forme de cycles (Stiglitz 2006), pendant lesquels des problèmes qui ont trait au commerce sont débattus et « donnent lieu à un marchandage complexe entre pays. Chacun d’eux accepte de diminuer ses droits de douane et d’ouvrir ses marchés si les autres en font autant » (Stiglitz 2006 : 121). Dans les domaines où les pays en développement possèdent des avantages comparatifs comme l’agriculture et le textile, la libéralisation des échanges a été très limitée[11].
Figure : l’OMC, un état de droit imparfait dans le commerce international
Comme le note pertinemment Stiglitz, le droit international de l’OMC est un état de droit imparfait : « Les règles sont fixées par marchandage, notamment entre pays pauvres et pays riches, et dans ce genre de marchandage ce sont généralement les riches et les puissants qui l’emportent » (Ibid., p.122). En effet, le respect des règles est asymétrique dans la mesure où l’OMC ne sanctionne pas elle-même les pays en infraction, mais elle autorise ceux auxquels ils ont porté préjudice à prendre contre eux des mesures de rétorsion. On comprend bien que dans ce cas de figure, ce sont les pays puissants qui réussissent mieux à mettre en place des mesures de rétorsion commerciales. En définitive, les dispositifs en vigueur régissant le commerce mondial ne sont pas justes. D’où la nécessité de définir les contours d’un régime équitable de commerce mondial[12] où les intérêts des pays africains seraient pris en compte sans pour autant faire subir des préjudices aux pays industriels avancés. De plus, une nouvelle gouvernance du commerce mondial devrait se donner pour objectifs de réaliser les intérêts de tous les pays y prenant part tout en se gardant de la suprématie des intérêts particuliers défendus par des groupes de pression très puissants (les multinationales). Le système préférentiel accordé à certains pays africains par les pays développés, constitue une facette de ce nouveau régime commercial mondial malgré toutes les insuffisances qui le caractérisent.
Figure : Les caractéristiques du traitement préférentiel
Par ailleurs, un régime commercial mondial juste ne se limite pas au traitement préférentiel en faveur des pays en développement, il devrait aussi s’appuyer sur une révision des structures tarifaires pour qu’elles puissent servir le développement (Stiglitz 2006). À cet égard, Stiglitz note :
« Les pays agricoles, pourraient mettre en conserve les fruits et légumes qu’ils produisent, et gagner ainsi plus qu’en exportant le produit brut. Ce serait facile à faire et cela créerait des emplois. Mais ils ne le font pas parce que les pays développés ont conçu leurs droits de douane pour décourager ce type d’industrialisation : ils taxent davantage à l’entrée les produits manufacturés que les produits de base, si bien que, plus il y a intervention industrielle, plus le droit de douane est élevé. » (Stiglitz 2006 : 136)
L’augmentation des droits de douane sur les produits transformés en provenance des pays en développement révèle au grand jour les anomalies de la gouvernance économique mondiale. Cette augmentation est perçue comme un impôt sur la transformation dans les pays en développement (les escalades tarifaires).
Toutefois, l’échec du cycle de Doha connu comme étant un round de développement, témoigne éloquemment de la prééminence d’une gouvernance mondiale viciée (Stiglitz, 2006), où les pays développés continuent à appliquer aux pays africains des droits de douane élevés tout en poursuivant les subventions accordées à leurs agriculteurs. Dans la même perspective, si l’Uruguay round a réussi à étendre les négociations commerciales aux services qualifiés (banque, assurance…etc.) qui représentent l’avantage comparatif des pays développés, elle n’a pas inscrit à l’ordre du jour les services non qualifiés – un avantage comparatif des pays en développement. Tout compte fait, la façon dont les décisions sont prises et dont l’ordre du jour est fixé au niveau international est caractéristique des échecs de la mondialisation.
De l’autre côté, les crises dans le monde entier deviennent de plus en plus récurrentes. La dernière crise de 2008 s’est diffusée rapidement des États-Unis au reste du monde. Comme l’écrit Stiglitz, « Les institutions internationales chargées de maintenir la stabilité du système économique mondial n’étaient pas parvenues à empêcher la crise. » (Stiglitz 2010 : 377). Ceci est de nature à renouveler les questions sur le rôle, l’architecture et l’efficacité de la gouvernance mondiale, résolument ni capable de stabiliser l’économie mondiale, ni du moins de prévenir et de solutionner efficacement les crises. La crise financière aura montré les limites de la mondialisation et ses insuffisances qui se sont manifestées à travers le gigantisme des plans de relance adoptés par les pays développés et la réémergence du rôle de l’État dans la conception de ces plans et des garanties ainsi que le retour du protectionnisme. Ce qui montre « les difficultés que rencontre le monde à mettre en place un régime de réglementation planétaire » (Stiglitz 2010 : 377). Ainsi, si rien n’est fait concernant le système financier mondial et l’économie mondiale, d’autres crises risquent de se manifester avec un accent plus grave et dangereux.
Les conséquences de la dérégulation systématique sont très révélatrices des contraintes et des paradoxes de la nouvelle donne mondiale et de la fragilité du cadre libéral mondial d’accumulation à les gérer efficacement. Nous pensons, comme l’affirme Stiglitz (2008), que l’échec économique, social et politique du néolibéralisme qui a inspiré les actions des institutions multilatérales tient au fait que « le fondamentalisme néolibéral de marché a toujours été une doctrine politique qui a servi certains intérêts. Il n’a jamais été soutenu par une théorie économique. Nous pouvons dire aujourd’hui qu’il ne le sera pas non plus par l’expérience historique ». La globalisation financière nécessite une maturité des systèmes financiers, mais pas seulement, car une régulation étatique est aussi impérative, et ce, à la mesure des risques que comporte la mobilité des capitaux. Les échecs de la mondialisation libérale sont dus à la suprématie accordée au secteur privé dans le modèle de développement préconisé, confinant ainsi progressivement le rôle pourtant crucial de l’État, à de simples fonctions régaliennes. Il n’est pas alors surprenant que l’emprise du secteur privé s’étende de manière croissante et par défaut, dans des domaines où le pouvoir de l’État a été affaibli.
La mal gouvernance politique
La « mal gouvernance politique » se manifeste par le déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement des institutions économiques internationales. Selon Stiglitz, « tant les structures que les méthodes ont pour effet que des voix qui devraient être entendues ne le sont pas. Le colonialisme est mort, mais les pays en développement n’ont pas la représentation qui devrait être la leur » (Stiglitz 2006 : 49).
L’Afrique : un nouvel espace de la mondialisation en expansion
Le fonctionnement des institutions internationales dont la création remonte à la deuxième guerre mondiale, ne leur permet pas de répondre aux défis posés par la nouvelle vague de mondialisation.
Une crise de légitimité des institutions internationales s’est installée au fil du temps et, principalement, à partir des années 1960-1970. En effet, le développement de nouvelles puissances dont les politiques de développement se sont démarquées des préceptes des institutions internationales ainsi que l’aggravation des inégalités au niveau mondial, montrent amplement les limites de la coopération internationale pour les pays africains. De plus, l’accès restreint de ces pays aux institutions internationales témoigne éloquemment de la prévalence de ce que Badie (2011) qualifie de « diplomatie du club ».
Par ailleurs, le lien entre croissance mondiale et développement humain est une autre facette de la mal gouvernance mondiale. En effet, et, malgré les efforts consentis, les conditions de vie de la population africaine ne se sont que légèrement améliorées. L’Afrique reste l’un des continents où le taux de pauvreté est très élevé. Cette situation s’explique d’abord par le dysfonctionnement institutionnel qui caractérise les modes de gouvernance en Afrique (croissance extravertie, corruption, instabilité politique et une croissance moins assise sur le développement humain, etc.). Elle s’explique aussi par la mal gouvernance mondiale dans la mesure où les institutions internationales privent les États africains d’une marge de manœuvre indispensable à la mise en place des politiques de développement économique et social. En plus, la fuite des capitaux, rendue facile, par une régulation financière défectueuse ; l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales ; le service excessif de la dette, les pays développés qui n’honorent pas leurs engagements en matière des Objectifs du Millénaire pour le Développement… sont autant des facteurs qui aggravent la situation des pays africains en fragilisant le développement humain.
Le nombre de pauvres en 1999 dans le monde
| 1999 | 1999 |
Régions | % | Millions |
Afrique subsaharienne | 49,0 | 315 |
Asie de l’est et Pacifique | 15,6 | 279 |
Asie du sud | 36,6 | 488 |
Amérique latine et Caraïbes | 11,1 | 57 |
Europe centrale et orientale et CEI* | 20,3 | 97 |
Afrique du Nord et Proche Orient | 2,2 | 6 |
Total ** | 23,2 | 1169 |
* Calculs effectués par rapport à 2 dollars par jour,
** Calculs effectués par rapport à 1 dollar par jour pour toutes les régions
Source : VEREZ, 2010.
CONCLUSION
La crise financière de 2008 aura marqué les esprits de par son intensité et la vitesse avec laquelle elle s’est propagée à l’ensemble de l’économie mondiale. En effet, cette crise d’origine américaine a élargi son spectre à l’ensemble de l’activité économique mondiale (FMI, Avril 2009). Les pays africains, quoique mal insérés dans l’économie mondiale par le biais de la finance, subissent de plein fouet cette crise par l’intermédiaire d’autres canaux (contraction de la demande mondiale, amoindrissement des transferts des résidents, diminution de l’aide publique au développement, etc.). De même, la présente crise réhabilite le rôle de l’État dans la régulation et montre les limites de l’approche du marché autorégulateur. Qui plus est, l’émergence de nouvelles puissances issues des pays en développement met en évidence l’échec des politiques de développement préconisées par les institutions internationales. En effet, ce sont les pays qui se sont démarqués de la « thérapie de choc » des institutions internationales qui jouissent actuellement du statut de puissances émergentes.
Les politiques de développement mises en place par ces pays accordaient une place de choix à l’État dans la promotion, la planification et la coordination des politiques de développement. D’où la qualification « d’État stratège », est de plus en plus mobilisée pour montrer le nouveau rôle de l’État dans le développement. De plus, l’État en Afrique, en dépit de ces principales évolutions, a du mal à jouer pleinement son rôle dans le développement. Effectivement, l’émergence des États stratèges au niveau du continent est tributaire de la redéfinition des règles du jeu de la gouvernance mondiale afin de permettre aux États africains d’avoir une nouvelle marge de manœuvre. D’où, le lien fait dans le cadre de cet article entre crises protéiformes, dysfonctionnement du capitalisme mondial, mal gouvernance mondiale et blocage des économies africaines. En d’autres termes, le sous-développement de l’Afrique s’explique à la fois par des facteurs internes (mal gouvernance nationale) et externes (mal gouvernance mondiale). C’est en cela que l’irruption de nouvelles puissances en Afrique est perçue comme un élément majeur aussi bien pour le changement interne (relâchement des conditionnalités et récupération d’une marge de manouvre qui ont toujours fait défaut aux États africains par le passé) que pour le changement externe (la réforme de la gouvernance mondiale, suite à l’émergence de nouvelles puissances, pour un système économique international plus juste et inclusif).
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22. STIGLITZ, J., 2006, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Paris, Fayard
23. STIGLITZ, J., 2002, La grande désillusion, Fayard, Paris.
[1] La crise a-t-elle changé l’ordre économique et les rapports de forces économiques mondiaux ? En effet, cela fait longtemps que règnent certaines idées : les marchés libres et sans entraves sont efficaces. La crise financière actuelle remet en cause certaines convictions fondamentales sur lesquelles repose la mondialisation, comme le postulat selon lequel les marchés libres peuvent accroître le bonheur de tous (Généreux 2010). Dans ces conditions, la crise a le mérite d’avoir mis en évidence le déficit de gouvernance mondiale et inscrit au centre du débat, la question de l’efficacité des arrangements institutionnels internationaux en matière de dialogue, de définition des politiques publiques, de coordination et d’action ( Africa progress panel, 25 mais 2010). Ceci est d’autant plus vrai que la montée en puissance des pays émergents pousse vers un réexamen de la question du gouvernement mondial. En effet, les pays émergents plaident pour une meilleure représentation de l’Afrique dans les instances de gestion du monde. A cet égard, « l’apparition de nouveaux groupements politiques tels que BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) ou BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) autour d’objectifs spécifiques comme le changement climatique et le commerce international pourrait également aider à accélérer une refonte des modes solidement établis de gouvernance mondiale » (Africa progress panel 2010 : 20).
[2] Voir certains ouvrages : L’Afrique noire est mal partie (René Dumont), Et si l’Afrique refusait le développement ? et Comment en est-on arrivé là ? (Axelle Kabou), L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ? (Danielle Etounga Manguelle), L’État en Afrique. La politique du ventre (Jean-François Bayart), etc.
[4] Selon Guy Hermet, la notion ou tout au moins le mot, se sont trouvés ainsi écartelés entre cinq sites principaux : la corporate governance, la gouvernance urbaine, la « bonne gouvernance » en matière de stratégies de lutte contre la pauvreté telles que la Banque Mondiale, puis d’autres organes d’aide à l’ex-Tiers monde, les conçoivent, la gouvernance mondiale ou Global Governance, la notion de gouvernance dans son application régionale.
[5] Les pays émergents se définissent d’abord par leur décollage économique comme en atteste leur contribution au PIB mondial. Ce sont d’anciens pays en développement. Ils se définissent aussi par une relative stabilité institutionnelle. Ils ont su construire des États qui ont rendu durable la croissance.
[6] Voir, Politiques africaines, n°113, Mars 2009, Afrique : la globalisation par les Suds (PERROT S et MALAQUAIS D, sous la dir. de)
[7] La « gouvernance neutre » signifie que les relations économiques et financières entre l’Afrique et les nouvelles puissances ne sont assorties d’aucune conditionnalité politico-économique.
[8] Le colonialisme en Afrique a créé les conditions favorables à l’émergence de ce que B. Badie (2002) appelle « L’État client ». Il s’agit d’une sorte d’aliénation des États des anciennes colonies aux « États patrons ». Cette asymétrie des rapports de force entre États, se traduit, selon Badie par des formes « de mimétisme constitutionnel forcé ». En effet : « L’État client est conduit à identifier ses propres structures politiques à celles de l’État patron. L’apport de l’État patron à l’État client, atteint ainsi l’identité même du second, alors que la contribution apportée en échange n’a qu’un effet périphérique, n’entraine que des modifications à la marge des équilibres socio-économiques des États dominants. » (Badie, 2002 : 39). Ainsi, pour l’auteur, cette asymétrie porte en elle-même les éléments décisifs qui font de rapport de clientèle un rapport de dépendance. En somme, cette relation clientéliste fait primer les médiations personnelles sur les médiations institutionnelles dans la mesure où elles impliquent les dirigeants de l’État-client en tant que personnes. Voir à cet effet, G. Otando, « Institutions, gouvernance et développement économique : problèmes, réformes et orientations de l’économie gabonaise », Thèse de doctorat, sous la direction d’UZUNDIIS D, université de Littoral Côte d’Opale. De plus, Stiglitz (2010, p.394), rappelle que « dans de nombreuses parties du monde, des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale ont fini par apparaître comme des instruments du contrôle postcolonial. Ces institutions, qui préconisaient le fanatisme du marché, poussaient à la déréglementation du secteur financier, à la privatisation, à la libéralisation du commerce. »
[9] Libéralisation du commerce et libéralisation des marchés de capitaux formaient le socle du consensus de Washington formée entre trois institutions basées dans la ville portant le nom de ce consensus.
[10] Le GATT était fondé sur le principe selon lequel les pays ne feraient subir aucune discrimination aux membres du GATT. Dit autrement, chaque pays traiterait les autres de la même façon. D’où l’appellation de la « nation la plus favorisée ».
[11] Le GATT a été remplacé dans le cadre de l’accord de Marrakech du 15 avril 1994 par l’OMC. Cette dernière a été créé pour donner un coup d’accélérateur aux accords commerciaux étendus à de nouveaux domaines comme les services et les droits de propriété intellectuelles.
[12] Étant données les injustices subies par les pays africains en matière du commerce mondial, dans un nouveau régime commercial mondial qui se veut équitable, ils doivent bénéficier d’un « traitement spécial et différencié ». Cette idée a fait son chemin dans la mesure où les pays développés sont, désormais, autorisés à déroger au principe de la nation la plus favorisée en taxant moins les importations en provenance des pays en développement. Toutefois, même avec ce traitement préférentiel, les droits de douane imposés aux produits en provenance des pays en développement restent quatre fois supérieurs à ceux imposés aux produits en provenance des pays développés.
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