CONTRAINTES A L’ENTREPRENEURIAT DES JEUNES ETUDIANTS D’ABOMEY-CALAVI AU BENIN
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- 31 oct.
- 31 min de lecture
HOUNDONOUGBO Pierrette Affia
Université d’Abomey-Calavi, Bénin, affiapierrette@gmail.com
SEGLA Koba Ange Joël
Université d’Abomey-Calavi, Bénin,Seglakobaangejoel@gmail.com

Résumé
Les véritables problèmes auxquels sont confrontés les jeunes sont liés à l’orientation professionnelle et débouchent sur l’insertion socio professionnelle. L’objectif de cette recherche est d’analyser les contraintes institutionnelles, socio-économiques et individuelles de l’entrepreneuriat chez les jeunes diplômés dans la commune d’Abomey-Calavi. En conséquence, la démarche méthodologique adoptée nous a conduit aux techniques telle la revue documentaire, l’observation et l’entretien avec pour outils la fiche de lecture, la grille d’observation et le guide d’entretien en fonction des cibles. Ceci nous a permis de collecter les données auprès de cinquante-deux (52) acteurs. Pour atteindre ces cibles, le choix raisonné a aidé à sélectionner les jeunes diplômés insérés, les professionnelles de recrutement et agents des services publics pour l’emploi et puis le hasard simple pour sélectionner les jeunes diplômés non insérés. Avec le modèle d’analyse stratégique, nous sommes parvenus aux résultats ci-après : les formalités administratives et les crises socio- économiques ; la peur et les risques d’échec des initiatives privées chez les jeunes à Abomey-Calavi et enfin le goût prononcé du gain facile et l’insuffisance des moyens de subsistance chez les jeunes diplômés à Abomey-Calavi.
Mots clés : Entrepreneuriat, Chômage, Contraintes.
Abstract
The real problems faced by young people are related to career guidance and lead to socio-professional integration. The objective of this research is to analyze the institutional, socio-economic and individual constraints of entrepreneurship among young graduates in the commune of Abomey-Calavi. Consequently, the methodological approachad opted led us to techniques such as documentary review, observation and interview with the reading sheet, the observation grid and the interview guide as tools according to the targets. This allowed us to collect data from fifty-two (52) actors. To reach these targets, the reasoned choice helped to select young graduates who were integrated, the recruitment professionals and money from public employment services and then simple chance to select young graduates who were not integrated. With the strategic analys is model, we arrived at the following results: administrative formalities and socio-economic crises ; the fear and the risks of failure of private initiatives among young people in Abomey-Calavi and finally the pronounced taste for easy gain and the insufficiency of means of subsistence among young graduates in Abomey-Calavi.
Keywords : Entrepreneurship, Unemployment, Constraints
Introduction
Dans un contexte de difficultés économiques des pays, la pauvreté dicte sa loi et « le chômage des jeunes diplômés est devenu aujourd'hui plus qu'un phénomène, une réalité qui commence à atteindre des proportions assez inquiétantes » (Abdoulaye, 2004, p. 10)) avec de multiples conséquences dans presque tous les domaines d’activités humaines. Il est plus courant d’entendre dans l’opinion, les acteurs affirmer que « la morosité économique, la pauvreté galopante et même la misère conduisent les jeunes à des vices tels que la délinquance, la prostitution, le vol et tout ce qui compromet la dignité humaine ». On peut donner raison à Brechbühl (2017, p. 07), quand il souligne que « l’accession au marché du travail constitue dans notre société…, un facteur essentiel à la construction identitaire des individus ».
On peut aussi voir les gouvernements et les organismes de développement qui ne cessent de susciter la volonté d’aller vers l’auto emploi. Cette volonté est plus manifeste à l’ère de la décentration où les défis auxquels sont confrontés les élus locaux restent ceux liés à la question de l’économie locale. C’est ainsi qu’il est constaté, depuis quelques années les politiques publiques ou privées qui encouragent l’entrepreneuriat au Bénin et dans les différentes localités (Oladjehou & Nouatin, 2021). Cela pourrait justifier le niveau de croissance économique et les dynamiques socio-culturelles que connaissent les localités du Bénin. On peut considérer alors l’entrepreneuriat comme le rempart contre la pauvreté et la misère dans les pays en développement.
Toutefois, on peut continuer à avoir des interrogations sur la stabilisation des marchés et la mondialisation qui peuvent entrainer des changements socio-économiques et une réadaptation forcée des relations entre les dirigeants, l’économie, les entrepreneurs et les demandeurs d’emploi. En cela nous comprenons Brechbühl (2017, p. 07) quand il mettait l’accent sur le fait que l’optimisation des capitaux pour en tirer un maximum de bénéfice a séparé le rapport entre l’économie et le social. Pour lui, la croissance économique actuelle ne va donc plus de pair avec les progrès du social. Cela confirme un rapport de la Commission Économique pour l’Afrique (CEA) qui estime que le taux de chômage et de sous-emploi est de 74,4 % au Bénin . De plus, la transition de l’école vers la vie active est de plus en plus longue et précaire (Oladjehou & Nouatin, 2021). On peut continuer de lire, à travers les lignes de ces faits, que les situations des jeunes à l’égard de l’emploi et le chômage élevé les maintiennent dans une forte sensibilité et la conjoncture économique (Coovi & Noumon, 2020).
De tout ce qui précède, il nous plaît dans le cadre du présent travail, de comprendre les contraintes liées à l’entrepreneuriat des jeunes de la commune d’Abomey-Calavi à l’issu de leurs formations universitaires.
1- Approche méthodologique
Dans le cadre de cette recherche à caractère mixte, à la fois qualitative et quantitative et pour parvenir à l’objectivité, nous avons adopté une méthodologie qu’il nous plaît de vous présenter dans le présent paragraphe. D’abord, nous avons opté pour une exploration du terrain afin d’apprécier le phénomène dans le milieu et voir la pertinence de son choix du milieu. A ce sujet, des informations ont été collectées auprès d’un échantillon pour la pré-collecte et est composé des jeunes diplômés insérés ; des jeunes diplômés non insérés ; des professionnels de recrutement ; des agents des services publics pour l’emploi ; des parents des jeunes diplômés ; des autorités locales d’Abomey-Calavi. La satisfaction de cette première étape nous a poussés à l’enquête proprement dite. Ensuite, tout au long de cette recherche, une documentation fournie au moyen des fiches de lecture nous a permis de faite la revue documentaire sur la question de la sécurisation des postes par les acteurs. Sur le terrain, grâce aux outils élaborés tels que la grille d’observation, le guide d’entretien et le questionnaire, nous avons fait une large collecte auprès des acteurs concernés au moyen des observations directes et des entretiens. Les données obtenues ont été traitées à base des logiciels Word et Excel avant d’être analysées suivant un modèle principal qui est l’analyse stratégique. La pertinence des techniques et l’efficacité des outils de recherches nous ont permis de surmonter les difficultés rencontrées et de mener à bien cette recherche. Les résultats obtenus permettent de mieux comprendre le fait en étude et sont consignés dans le volet ci-après.
2- Contraintes liées à l’entrepreneuriat des jeunes de la ville d’Abomey-Calavi issus des universités
Nous allons présenter dans ce chapitre le point des données de terrain. Nous allons d’abord présenter les caractéristiques sociodémographiques des acteurs enquêtés. Ensuite, nous allons faire le lien entre les formalités administratives, les crises socio- économiques et l’entrepreneuriat des jeunes dans la commune d’Abomey-Calavi. De plus, nous mettrons l’accent sur l’effet de la peur et des risques d’échec des initiatives privées chez les jeunes à Abomey-Calavi. Enfin, nous allons donner la part du goût prononcé du gain facile et de l’insuffisance des moyens de subsistance dans le déficit de l’entrepreneuriat chez les jeunes diplômés à Abomey-Calavi.
2-1. Caractéristiques sociodémographiques des acteurs enquêtés
La collecte des données montre que le phénomène que nous examinons se fait plus sentir au niveau de la jeunesse et la tendance est forte pour les jeunes de 15 ans à 45 ans. C’est plus accentué pour les jeunes de 25 ans jusqu’à 45 ans. On comprend mieux que ceux qui cherchent véritablement le travail après leur formation et diplôme universitaire sont dans cette catégorie d’âge. Le taux de chômage est plus élevé à ce niveau parce que beaucoup se cherchent et certains sont dans le tremplin.
Au rang des enquêtés, le nombre des acteurs qui ont la licence sont plus nombreux que ceux qui ont le master. C’est ce que ces enquêtés ont essayé de dire en ces termes :
« Moi, je suis un titulaire d’une licence, cela fait déjà quatre bonnes années. Pendant cette période, je ne fais que chercher du travail jusqu’à présent et je n’en ai pas encore eu un seul que j’ai pu exercer durant six mois. Mais j’ai la certitude que je vais en trouver qui va être bien payé » (E. H., 35 ans, juin 2024).
Selon cet enquêté, il est constaté que l’informateur n’a pas l’intention de créer sa propre structure mais il décide de travailler soit dans une administration publique ou dans un secteur privé. L’expression : « … mais j’ai la certitude que je vais en trouver qui va être bien payés », montre que l’enquêté n’est pas prêt à laisser de chercher le travail.
Il se dégage de ces propos que la plupart des informateurs sont au moins avec la licence. Cela montre que ce sont des diplômés des universités et donc ils maîtrisent mieux la question que nous abordons concernant les emplois des jeunes et surtout l’entrepreneuriat.
Figure n°1 : Situation matrimoniale des enquêtés
Source : Enquête de terrain, juin 2024
De cette figure n°1, nous retenons que la majorité des informateurs sont des célibataires. Très peu parmi eux sont véritablement engagés dans le mariage. C’est un indice important pour qualifier la situation d’insertion professionnelle des jeunes. La marge de ceux qui sont célibataires avec enfants est aussi importante. On pourrait déjà comprendre qu’avec l’âge évolué, les jeunes s’engagent dans les relations de foyers mais sans pour autant garantir ce qui pourrait aider à la stabilité des ménages.
« Je suis célibataire avec enfants. Je n’ai pas voulu cette situation puisque je suis conscient du fait qu’il faut prendre en charge les enfants pour ne pas créer des cas sociaux. Mais vu mon âge qui évolue j’ai été obligé de prendre mon épouse avec moi. Elle aussi n’a pas encore une stabilité professionnelle. On est là en attendant que le meilleur arrive. Mais ce n’est pas facile de vivre des situations pareilles » (T. F., 35 ans, juin 2024).
2-2. Formalités administratives, crises socio- économiques et l’entrepreneuriat des jeunes dans la commune d’Abomey-Calavi
Figure n° 2 : Relation administration publique et entreprises
Source : Enquête de terrain, juin 2024
De cette figure n° 2, nous ressortons que les informateurs apprécient très mal les relations entre l’administration publique et les entreprises. Pour eux, l’administration publique est prête à recevoir auprès des entreprises les dus mais elle n’est pas prête à accompagner ces dernières. Un informateur dit :
« Je ne sais pas si c’est une mauvaise volonté des acteurs ou du personnel administratif, mais il faut l’avouer, nous ne percevons pas le rôle de l’administration dans l’accompagnement des entreprises. Les entreprises, qu’elles doivent à l’administration, nous voyons la rigueur avec laquelle l’administration réclame. Mais en retour, qu’est-ce que l’administration fait pour le bonheur et la survie des entreprises ? Lorsqu’une entreprise ne fait pas ses formalités administratives, nous voyons comment elle peut être traitée par l’administration avec la dernière rigueur. Il y a trop d’exigence pour les formalités administratives. Ce qui ne peut pas arranger les entreprises au démarrage. Cela peut constituer des blocages pour les initiatives d’entreprises. Mais quand l’entreprise finit de remplir les formalités et qu’elle est en difficultés, que fait l’administration pour le soutenir et l’aider ? S’il y en avait, les entreprises n’auront peur d’affronter les crises que nous connaissons » (A. B., 43 ans, juin 2024).
Nous pouvons retenir que les acteurs ont peur des influences des crises socio-économiques sur les entreprises. S’il y avait un accompagnement des autorités administratives, cela pourrait être une assurance pour ayant le désir de formaliser leurs entreprises. Cela nous rappelle les propos d’un informateur :
« L’administration publique est consciente des crises dont sont victimes les entreprises. Mais, quand ses crises commencent, nous n’arrivons pas à sentir l’accompagnement de l’administration pour aider les entreprises à survivre. Vous savez, quand je prends simplement la fermeture des frontières qu’on a vécue dernièrement, beaucoup d’entreprises ont eu de problèmes. Mais quelle est la réaction de l’administration publique pour aider les entreprises ? Je pense que c’est rester sous silence. Et comme les crises ne préviennent pas, vous comprenez que ce serait difficile pour les entreprises naissantes. Cela paraît comme une fuite de responsabilité de l’administration publique puisqu’elle exige de faire les formalités. Nous voyons même que dans des pareilles situations de crises, l’administration vous impose encore des choses qui compliquent l’existence aux entreprises. Pour moi, il faut que l’administration trouve des moyens sauver les entreprises dans les cas pareils » (G. K., 39 ans, juin 2024).
Des propos de cet informateur, nous avons compris qu’il manque l’accompagnement des autorités administratives aux entreprises lors des situations de crises. Un autre informateur nous raconte également ceci :
« Vous savez, lorsqu’on parle de la cherté de la vie, même les matières premières connaissent ces réalités de cherté de la vie. C’est même là qu’on ressent plus les incontinents. Pour les entreprises qui transforment les matières premières ou qui exploitent les matières premières, vous pouvez imaginer l’impact sur leur production ou sur leur rendement. Vous êtes d’accord aussi avec moi que la question du prix, il y a des réglementations pour les prix. Par exemple, les boulangeries ne peuvent pas augmenter le prix des pains n’importe comment. Dans ces cas, je pense que pour accompagner les entreprises, l’administration devrait trouver une manière de subventionner lesdits produits pour permettre aux entreprises de mieux faire face aux difficultés » (F. R., 41 ans, juin 2024).
Cet informateur aussi souligne l’effet des crises socio-économiques sur les entreprises. Il pense également que dans des situations du genre, l’administration doit agir en faveur des entreprises pour les encourager.
Dans cette condition, les jeunes qui pouvaient s’engager dans les entreprises sont alors dans l’impasse. Cela pourrait engendrer la peur ou la remise en cause de leur volonté à entreprendre.
2-3. Peur et risques d’échec des initiatives privées chez les jeunes à Abomey-Calavi
Les jeunes étudiants diplômés rencontrés lors des enquêtes sur le terrain ont une forte récurrence de discours démotivant même s’ils ont la volonté d’aller à l’entrepreneuriat. Sur les quarante (40) enquêteurs touchés, seize (16) soit 40 % ont envie d’avoir leurs propres entreprises mais n’ont pas voulu en créer, peur d’échouer. L’un de ces enquêtés a laissé entendre ses propos en ces termes : « Ce n’est ni l’idée ni envie d’être promoteur ou chef d’entreprise qui en manque mais on n’a pas voulu le faire parce que si on ne réussit pas, on contracte des dettes. Dès lors, au lieu de gagner, on perdre » (D. Z., 24 ans, juin 2024).
Ces propos témoignent du manque de courage chez les jeunes étudiants diplômés car rien de bon n’est obtenu dans la vie une difficulté, tout ce que l’on choisit de faire dans la vie a son exigence. Ainsi, quatre (04) soit 10% des enquêtés ont créé leurs propres entreprises et rencontrent des échecs que les autres fuient. Ce qui justifier qu’il y a un fort taux d’échec des entreprises privées dans la commune d’Abomey-Calavi. Pour certains, c’est lié à l’organisation interne des entreprises. Mais pour d’autres c’est la pression fiscale qui pousse les jeunes entrepreneurs à fermer.
Nous comprenons que dans la commune d’Abomey-Calavi, il y a une forte pression fiscale sur les entreprises. 98 % des informateurs l’ont affirmée et estimée que malgré la concurrence déloyale non contrôlée, les entreprises sont exposées à cette pression fiscale et « peinent à respirer ». C’est ce que nous pouvons retenir de l’intervention d’un informateur.
« Nous avons à côté de nous des entreprises qui ont existé par le passé mais qui n’existent plus aujourd’hui. Vous pouvez comprendre qu’il y a une raison. On ne sait pas comment les gens font pour s’en sortir. Moi je pense qu’il faut une organisation pour aider les entreprises naissantes à mieux vivre. Je vois que les entreprises naissent pour régler les problèmes d’ordre socio-économique. Mais elles arrivent à peine à respirer puisqu’à peine naître, les fiscalités sont là pour les empêcher de continuer à exercer. Il n’existe pas encore, à mon avis, une mesure pour aider les entreprises qui sont réellement dans ces cas. Ce qu’on entend souvent, j’ai demandé à ce que mon compte soit fermé en attendant que je vois la possibilité de m’organiser autrement. C’est déjà une faillite et une perte pour la nation. Si cette entreprise avait des employés, imaginez leur sort » (D. T., 34 ans, juin 2024).
Figure n° 3 : Concurrence déloyales entre les entreprises privées
Source : Enquête de terrain, juin 2024
Les informateurs à 88% ont trouvé que dans la commune d’Abomey-Calavi, il y a une forte concurrence déloyale. Pour certain, cette concurrence est liée au fait que les gens sont pour la plupart dans l’informelle. C’est que nous pouvons retenir de l’entretien avec un informateur :
« Chez nous ici, vous aller constater que les entreprises sont installées côte à côte sans un minimum de respect des règles qui régissent le commerce ou les activités économiques. D’abord, les gens sont pour la plupart chez eux. Le l’époux a peut-être les moyens et comme sa femme ne fait encore rien, on ouvre la boutique et on commence par faire quelque chose en attendant. C’est de pur informel. Pour l’instant les réglementations ou les acteurs en charge n’arrivent pas encore à tout sanctionner. Quand quelqu’un est chez lui, dès qu’il entend que les autorités viennent, il ferme sa porte et attend leur départ pour la rouvrir » (G. D., 45 ans, juin 2024).
La vraie concurrence chez les informateurs c’est lorsque vous avez les mêmes produits mais d’origines différentes. Les gens préfèrent aller vers ce qui est moins chers même si ce n’est pas de bonne qualité. Un informateur nous raconte ceci :
« Nous avons ici au Bénin un problème de marque et de qualité. Très peu connaissent la qualité. La population pense en premier lieu au coût du produit. Souvent, nous utilisons les mêmes emballages mais le contenu n’est pas le même. Si vous êtes une entreprise qui se respecte, vous aller rechercher la qualité. Au même moment, il y a des gens à côté de vous qui sont prêts à vous copier et à montrer qu’ils sont meilleurs en matière de prix. Nous avons vu dernièrement à la télévision qu’il y avait des gens qui fabriquaient des liqueurs dans leur maison à partir des produits dont on ignore la qualité. Ils ont les mêmes étiquettes. Cela montre combien la concurrence est déloyale chez nous. Il n’y a pas encore un système rigoureux pour couvrir tout le territoire. Les gens continuent encore à faire leur pagaille » (A. D., 39 ans, juin 2024).
Lorsqu’on parle aussi de concurrence, certains pensent que cela est lié à l’incapacité managériale des responsables et des collaborateurs dans les entreprises.
Figure n° 4 : Incapacité managériale des responsables et des collaborateurs en entreprises privées
Source : Enquête de terrain, juin 2024
Il ressort des résultats de cette figure n° 4 que les acteurs reconnaissent qu’il y a une incapacité managériale notoire dans la gestion des entreprises. Ce qui fait qu’il y a échec et fait croire aux jeunes que l’entrepreneuriat est incertain.
Par ailleurs, quelques-uns estiment que l’incapacité managériale identifiée est surtout due au type du personnel recruté ou à leur qualification professionnelle.
« Lorsque nous prenons les entreprises que nous voyons dans nos milieux ici, c’est souvent le propriétaire qui se débrouille tout seul avec peut-être les proches à lui qui sont utilisés comme main-d’œuvre. Si on considère que le promoteur a fait une formation en gestion des entreprises, les autres qui travaillent avec lui n’ont pas reçu cette formation. La gestion dans une entreprise naissante sera difficile pour raison du manque de main-d’œuvre qualifiée. On sait que les compétences existent, mais pour engager les compétences au début d’une entreprise, il faut s’assurer que cela ne va pas te créer des ennuis par la suite. Ce qui fait dire que la plupart des entreprises sont d’abord en essai pour voir si l’idée pourra rencontrer l’adhésion d’un grand nombre.
Si vous pouvez comprendre que la plupart des entrepreneurs au départ sont dans l’informel on comprendra la suite. Ils peuvent être exposés au risque de poursuite judiciaire si les règles de fonctionnement ne sont pas conformes aux normes en vigueur dans le pays. Il y a beaucoup de jeunes qui ont fini leurs formations en agro bisness et qui sont prêts à valoriser leurs compétences et leurs initiatives. Mais, il se trouve qu’ils sont confrontés au problème de l’authentification des produits inventés qu’ils souhaitent mettre sur le marché. Voilà les réalités auxquelles nous sommes confrontés en tant que jeunes » (R. S., 42 ans, juin 2024).
Les différents propos enregistrés nous montrent que l’incapacité se justifie par la méfiance et d’autres risques auxquels les promoteurs peuvent être exposés au débout de leurs initiatives. C’est vraiment important pour nous d’aller investiguer sur la part des poursuites judiciaires et autres influences extérieures sur l’avenir des entreprises et par conséquent sur la résistance des jeunes à aller à l’entrepreneuriat.
Les résultats des enquêtes sur le terrain nous permettent de dire qu’il existe dans la ville d’Abomey-Calavi une forte crainte de la poursuite judiciaire chez les jeunes. Ce niveau de crainte justifie la réticence des jeunes à aller à l’entrepreneuriat. Un informateur nous dit ceci :
« Il y a tellement du faux dans notre société qu’on a peur de la poursuite judiciaire. Il y avait une entreprise qui faisait la tontine dans notre localité. Il avait déjà embauché des jeunes. Par la suite, parce qu’il y a une autre entreprise qui faisait du faux et que la police est informée, ils ont fermé toutes les autres entreprises du genre et les acteurs sont poursuivis depuis les années. Vous voyez que dans de pareilles situations, les jeunes seront réticents d’aller dans les entreprises puisque, dans la suite, on ne sait pas ce qui va se passer » (F. S., 42 ans, juin 2024).
Le développement fait par cet informateur nous amène à aborder la rubrique gain facile qui pourrait compromettre l’avenir des entreprises et décourager ceux qui voudraient vraiment aller à l’entrepreneuriat.
Cependant, certains font l’option de l’entrepreneuriat, c’est ce que représente la photo suivante :
Photo n° 1 : Vente de divers
Source : Enquête de terrain, juin 2024
2-4. Goût prononcé du gain facile et insuffisance des moyens de subsistance chez les jeunes diplômés à Abomey-Calavi
Figure n° 5 : Durée mise pour faire asseoir une initiative privée afin de rentabiliser
Source : Enquête de terrain, juin 2024
Il faut noter à travers les données de cette figure n° 5 que les jeunes aiment l’entrepreneuriat mais ils trouvent que cela met assez du temps pour la rentabilité. Nous comprenons dire que la jeunesse est pressée d’avoir de l’argent mais ne voudrait pas y consacrer le temps nécessaire. Les jeunes peinent à investir dans les activités où il faut attendre longtemps pour rentabiliser. Certains, du fait que dans les entreprises il y a les cas d’impayés ou de dettes aux employés, ne veulent même pas passer de leur temps pour acquérir de l’expérience qu’ils peuvent aller vendre ailleurs. Un informateur exprime clairement son point de vue à travers les propos ci-après :
« Je suis un jeune, j’ai besoin de moyens pour continuer mes études et voilà que j’ai des enfants à nourrir. Je ne peux pas me mettre dans une entreprise où on aura du mal à me payer. Je sais que c’est difficile parfois pour les entrepreneurs. Ils ont vraiment de difficultés à rentabiliser leurs activités. D’autres parfois sont obligés de mettre leurs propres moyens ou d’aller faire les prêts. Mais il faut me comprendre aussi, je suis dans un besoin où les gens à qui je dois le loyer et autres m’attendent. Et si tu n’arrives pas à les payer, ils vont te traiter de tout. C’est pour cela que je dis qu’il est difficile pour moi de travailler pour une entreprise et ne pas avoir de l’argent. J’avais travaillé dans une école privée. Le fondé est un jeune comme moi. Il avait de problème avec presque tous les enseignants parce qu’il avait de difficulté à payer. On a compris qu’il n’avait pas d’effectif et que le peu qu’il y avait ne payait pas à tant la scolarité. Voilà qu’à côté, il y avait une autre école bien assise qu’il payait à bonne date. Je fais comment ? La logique aurait voulu qu’on aide jusqu’à réussir. Mais les contraintes sociales obligent à aller chercher ailleurs » (I. F., 29 ans, juin 2024).
Ces propos de l’auteur nous conduit vers un autre informateur qui estime la même chose et fait d’autres propositions :
« Il y a trop de risque dans les initiatives privées. Moi j’ai envie d’aller entreprendre mais je préfère avoir une activité qui me rapporte de l’argent d’abord avant d’entreprendre. Là aussi ce n’est pas facile de cumuler les emplois et l’entreprise. Mais je pense que c’est la meilleure solution. L’entreprise demande beaucoup d’investissement au démarrage. Si tu n’as pas les reins solides, c’est compliqué pour l’entrepreneur.
C’est pour cela que je propose d’avoir d’autres sources de revenu pour les moments de soudure avant d’aller en entreprise. Tu ne peux pas avoir des impayés vis-à-vis des travailleurs et être à l’aise. C’est même ce qui va te faire plus des mauvaises publicités. Mais quand ils sont bien payés, ils vont également te faire de la publicité positive » (M. G., 44 ans, juin 2024).
Figure n° 6 : Fréquentes dettes ou salaires impayés des employés
Source : Enquête de terrain, juin 2024
Des résultats de cette figure n° 6, nous pouvons dire selon les informateurs que beaucoup sont les entreprises de la ville d’Abomey-Calavi qui doivent aux employés. Ce qui amène souvent les employés à changer régulièrement d’entreprises. Dans ces cas, les crises naissent entre les employeurs et les employés. D’autres témoignent des entreprises qui ont des impayés depuis des années. Un informateur nous raconte ce qu’il a vécu :
« J’ai travaillé avec une entreprise qui ne paie jamais la totalité des salaires jusqu’à la fin de l’année. Parfois, quand vous rappelez au promoteur les impayés, il vous menace et selon lui, il est conscient mais il ne veut pas payer. Ce promoteur se dit que les employés également doivent contribuer au financement de l’entreprise alors qu’on n’avait pas dit ça au départ. Dans le contrat, c’est dire clairement le montant par mois. Voilà un peu de désordre dans les entreprises où chacun fait à sa manière et c’est tout comme si tu n’as pas des voix de recours. Une grande sœur a été menacée par le promoteur d’une université privée qui lui devait plus de six mois de travail. Je ne pourrai pas dire que les entreprises ne sont pas rentables mais on se pose la question de savoir ce que les gens font des revenus de l’entreprise s’il faut chaque fois rester devoir aux travailleurs. Ce que je vous dis, si vous aller encore vers les écoles privées, il y a des écoles dans lesquelles vous travaillez et on ne compte pas toutes les heures exécutées. C’est ceci qui remet en cause le travail dans le privé. Dans d’autres entreprises il y a des taches que vous exécutez en dehors de ce que vous devez faire normalement et on ne paie jamais cela. Vous pouvez faire des heures supplémentaires, cela ne sera pas rémunéré ni encouragé » (D. E., 45 ans, juin 2024).
Nous pouvons déduire de tous ces propos que la ville d’Abomey-Calavi connait ce phénomène de réticence d’aller à l’entrepreneuriat pour raison d’une forte prédominance de dettes et d’impayés aux employés des entreprises. Il est normal que les acteurs développent un dégoût pour l’entrepreneuriat.
Face à cette situation, quelle serait l’attitude des employés dans les entreprises ? La réponse à cette question nous amène à faire le développement suivant sur les détournements et les vols au sein des entreprises.
Figure n° 7 : Détournement et vol des biens matériels et financiers des entreprises
Source : Enquête de terrain, juin 2024
Cette figure n° 7 montre qu’il existe dans les entreprises les cas de vol et de détournement. En s’appuyant sur les résultats précédents, ces détournements sont parfois les conséquences des mécontentements ou des frustrations. Mais aussi, d’autres évoquent d’autres raisons. Un informateur dit :
« Notre patron a enregistré des pertes liées à son imprudence. Il avait tellement fait confiance à la comptable qu’elle fait tout à la place du patron. Parfois, nous sommes aussi, en tant qu’employés, nous sommes victimes des choses qu’on ne peut pas aller dire au patron. On ne sait pas ce que la dame a fait manger au chef. Mais lorsque la dame a opéré dernièrement, toute l’entreprise a senti. C’est en ce moment que le patron a pris ses responsabilités, c’était trop tard. La dame a déjà voyagé. Elle est actuellement au Canada selon les informations reçues. Il y a aussi fréquemment les cas de vol dans les entreprises. Mon avis à propos, c’est le défaut d’organisation et parfois la recherche du gain facile. Il y a des gens, si vous n’êtes pas vigilant avec eux, ils vont vous voler facilement. C’est pour cela que je dis que c’est une affaire d’organisation interne. Si l’organisation n’est pas défaillante, vous ne pouvez pas enregistrer des pertes. Il y a quand-même, des brebis galeuses parmi les employés. Quel que soit ce que vous allez faire, ils vont trouver les moyens de vous voler. Si le vol se perpétue, l’entreprise peut avoir des échecs. Je peux vous dire que tout cela dépend des moyens dont dispose l’entreprise. C’est pour cela que certains préfèrent ne pas confier des postes de responsabilité aux proches mais à des personnes qu’ils peuvent trainer en justice. C’est le principe du capitaliste dans les entreprises, le socialiste est presque absent » (H. L., 38 ans, juin 2024).
En analysant un peu le comportement de la comptable, cette situation de détournement ayant conduit l’entreprise en perte peut être qualifiée de recherche de gain facile puisqu’elle ne compte plus sur ses propres salaires mensuels. Cette façon de faire existe certainement sous une autre forme. Nous allons mieux consacrer les lignes à suivre pour le gain facile.
Figure n° 8 : Course au gain facile chez les jeunes
Source : Enquête de terrain, juin 2024
A la lecture de cette figure n° 8, il y a deux autres facteurs qui plombent le développement de l’entrepreneuriat dans la commune d’Abomey-Calavi. D’abord la course au gain facile et ensuite le développement de la cybercriminalité. Un informateur nous dit :
« La recherche du gain facile conduit beaucoup de jeunes vers la cybercriminalité. Vous allez voir dans nos localités aujourd’hui des jeunes qui ne font rien et qui roulent des motos ou des voitures dont vous pouvez ignorer le montant. Ce sont eux qui mènent la vie d’aisance. Ces choses vous font dire que ce n’est pas la peine de se gêner outre mesure. Vous pouvez même douter des efforts que vous fournissez pour avoir les moyens et subvenir à vos besoins. Les choses pareilles attirent plus les jeunes de notre temps. On veut avoir de belles maisons, de belles voitures, des moyens de subsistances sans fournir assez d’efforts.
Parfois aussi, quand les autres font des efforts pour faire asseoir une idée ou une initiative, ils vont passer par derrière pour vous escroquer. Il faut noter que de pareilles personnes sont avec nous et autour de nous. Je connais une dame qui était escroquée par un jeune dans notre quartier. Elle a ouvert son entreprise de vente des produits de la SOBEBRA et autres boissons. Mais comme les boissons ne marchent pas tous les jours, elle a commencé par faire le transfert et le retrait d’argent. Quelqu’un est venu lui parler d’un transfert de deux cent mille (200.000) francs. Le monsieur a demandé à la dame de vérifier si celui à qui elle a envoyé a reçu l’argent. Il a disparu et jusqu’à ce jour, elle n’a pas pu solder la dette causée par cette situation » (H. L., 41 ans, juin 2024).
Nous déterminons par l’histoire racontée par cet informateur que les méfaits des pratiques de la cybercriminalité et du gain facile découragent et tuent beaucoup de projets élaborés par les jeunes dans la ville d’Abomey-Calavi. C’est aussi le point de vue d’un informateur qui nous rapporte ce qui suit :
« Je pense qu’il faut continuer à développement les stratégies pour décourager ce phénomène de gain facile et de cybercriminalité. J’ai une cousine qui a fait une tontine en ligne où les gens lui envoyaient de l’argent par transfert. Un jour, un des cotisants a demandé à avoir son argent pour régler un problème en urgence. L’intéressé lui balance un numéro sur lequel il fallait envoyer l’argent. Ce qu’elle a fait avec les preuves. Mais bien après, on a compris que le portable de l’intéressé était perdu. Celui qui a retrouvé a fouillé les messages WhatsApp et s’est rendu compte qu’elle faisait la tontine en ligne. Les enquêtes après n’ont pas abouti. La police a arrêté ma cousine. On a été obligé de rembourser à sa place. Elle a donc eu la chance. Elle était dans une tontine illicite. Elle pouvait aller en prison alors celui qui a commis le forfait va continuer à vivre tranquillement. Le projet a échoué à partir de là » (T. P., 53 ans, juin 2024).
Il faut noter qu’il y a beaucoup d’opportunités en ligne aujourd’hui mais pour cette situation grandissante de la cybercriminalité, il faut dire qu’il y a la réticence de beaucoup de jeunes à s’aventurer sur ce domaine. Ce qui amène beaucoup de public à ne pas croire aux boutiques et les ventes en ligne. Ainsi, beaucoup d’activités en ligne, surtout à l’ère du numérique, ne marchent pas, d’autres peinent à se concrétiser ou à émerger.
Les quarante (40) jeunes diplômés de l’université d’Abomey-Calavi sur qui porte la présente recherche ont eu des différents projets. Ces projets sont regroupés en deux (02) grandes catégories à savoir : Sortir diplômés et travailler soit pour l’Etat pour être un salarié, agent permanent de l’Etat, soit pour un particulier c’est-à-dire dans le secteur privé. La deuxième catégorie, c’est sortir diplômés et créer sa propre entreprise, c’est-à-dire travailler pour son propre compte dans un secteur privé.
Dans la deuxième catégorie, il y a ceux qui ont eu l’idée de projet et ceux qui ont concrétisé cette idée de projet en une entreprise. Le tableau suivant présente ces différentes catégories des jeunes étudiants diplômés.
Tableau I : Beaucoup de projets élaborés par les jeunes mais peu sont concrétisés
Jeunes diplômés | Nombre | Idée de projet | Idée en projet | Non concrétisés |
Souhaitant être agents de l’Etat | 27 | 27 | 04 | 23 |
Souhaitant être entrepreneurs | 13 | 13 | 02 | 11 |
Total | 40 | 40 | 06 | 34 |
Source : Enquêtes de terrain, juin 2024
Les données de ce tableau montrent que sur les vingt et sept (27) jeunes étudiants qui souhaitent travailler pour l’Etat, seuls quatre (04) jeunes étudiants diplômés soit 14.81% qui ont réussi travailler dans une structure de l’Etat. Les vingt et trois (23) sur les vingt et sept (27) jeunes étudiants, soit 85.18% n’ont pas pu devenir un salarié de l’Etat. Cela montre que devenir un agent de l’Etat n’est pas une chose automatique.
Quant aux étudiants désirant devenir entrepreneurs, ils sont au nombre de treize (13). Sur ce nombre, seul deux (02) soit 15.38% qui ont pu conduire l’idée de projet en projet et les onze (11) restant soit 84.62% n’ont pas pu concrétiser l’idée de projet en projet. Cela justifie l’idée selon laquelle crée une entreprise, est une chose complexe avec des exigences. Cette complexité et ces exigences constituent des freins qui empêchent l’évolution des entreprises. Cela nous renvoie à un informateur qui raconte :
« Nous avons suivi des formations lors d’un séminaire organisé par une structure de la place. La structure était prête à accompagner les jeunes qui allaient se mettre en groupe pour avoir un projet. Mais après, comme la structure a demandé aux jeunes de travailler eux-mêmes pour qu’elle ait des preuves à présenter aux bailleurs pour avoir de financement, les jeunes ont abandonné. Peu ont pu résister et parmi eux il y a encore certains qui n’ont pas su gérer la suite. Beaucoup d’initiatives du genre ont échoué. Nous sommes conscients de l’avantage du travail de groupe mais nous ne sommes pas suffisamment matures pour la gestion du groupe. Les intérêts particuliers divisent souvent » (S. J., 39 ans, 2024).
Figure n° 9 : Inefficacité des coopératives et des groupements mis en place par les structures publiques et même privées pour encourager l’entrepreneuriat chez les jeunes
Source : Enquête de terrain, juin 2024
La lecture de cette figure n° 9 montre les points de vue d’informateurs qui témoignent à 61% que la plupart des groupes et coopératives sont improductifs dans la commune d’Abomey-Calavi. C’est aussi pour confirmer que les groupements et les coopératives sont inefficaces dans leurs activités dans cette ville. Un informateur nous contait des expériences malheureuses dont il était témoin.
« Nous avons suivi des formations avec quelques amis. Au départ, nous avons émis des idées que tout le monde avait appréciées. Un d’entre nous avait le domaine d’un parent qu’il a négocié pour qu’on fasse la coopérative. Quelques instants après, lorsque les choses ont commencé par marché, il a inventé une histoire et finalement comme ce n’était pas le contrat de base, nous avons refusé. Ce qui a fait que le groupe s’est divisé. Il est resté avec quelques-uns mais cela n’a pas prospéré. Si on était encore ensemble, je vous assure qu’on aurait déjà peut-être nos propres domaines. Ce qui m’a fait plus mal, c’est tout ce qu’on a investi dans la coopérative.
Après cette expérience malheureuse, la seconde c’est avec un groupe de trois que nous avons mis en place et un monsieur propriétaire de domaine a accepté mettre cela en bail pour nous. Nous avons fait les formalités. Quelques temps, le monsieur a eu un problème et ses enfants sont venus remettre en cause le bail et nous ont renvoyés. Cela était encore plus douloureux puisque nous avons remis au monsieur de l’argent. Nous avons convoqué ses enfants plusieurs fois, l’affaire est allée au tribunal et là encore nous avons dépensé énormément. Finalement, nous avons abandonné. Non seulement qu’on n’avait pas assez d’argent, on a investi dans les problèmes et cela n’a rien donné. Nous avons été pendant longtemps fait des tours des tribunaux sans suite favorable. Nous avons certainement failli quelques part. Mais il faut l’avouer que ce sont des expériences douloureuses.
Un troisième cas que je peux vous raconter, ce sont nos amis qui ont acheté un domaine pour la production. Quelques années après, ils ont un problème de foncier, l’affaire est allée au tribunal, ils ont perdu le procès. Ils ont perdu et on leur a interdit d’aller enlever ce qu’ils ont comme installation sur le site. Voilà le sort des groupements et des coopératives chez nous. Si vous n’avez pas une propriété bien sécurisée, il vaut mieux ne pas aller dans ce domaine. Pour moi, il faut des mesures fortes pour protéger les groupements et les coopératives afin d’avoir des résultats souhaités. Je sais qu’il y a des associations dans nos localités qui œuvrent pour les choses pareilles. Mais combien de jeunes ont les moyens de formaliser leurs groupements avant de se mettre dans les associations ? Les coopératives agricoles que je connais, il faut avoir fait des formalités pour être affiliés à une association du genre » (Z. P., 42 ans, juin2024).
Figure n° 1 : Education financière à l’endroit des jeunes
Source : Enquête de terrain, juin 2024
Nous déduisons des résultats de cette figure n° 10 que les jeunes de la ville d’Abomey-Calavi ont une faiblesse éducation financière. Quand on parle de l’éducation financière, nous avons voulu savoir si les acteurs comprennent le sens de l’éducation financière. Les réponses d’un informateur nous ont convaincu et nous les rapportons ici :
« Ce que je comprends par l’éducation financière, c’est justement le rapport que nous avons avec nos revenus. L’éducation financière, c’est la capacité à gérer nos revenus de façon de façon à limiter les dettes afin de pouvoir d’ économiser ou investir dans d’autres activités génératrices de revenus. Mais vous savez, la plupart d’entre nous, nous n’avons pas la culture des réserves. Et c’est pourquoi nous aimons les prêts. Quant à nous jeunes, nous sommes dans les investissements non productifs ou des passifs. Un jeune est capable de se payer un portable de grande valeur qui ne lui servirait à rien presque. Alors que ce dont il a besoin, c’est peut-être un portable pour assurer la communication et le reste peut être investi dans autres choses » (A. R., 38 ans, juin 2024).
On comprend pourquoi il y a faible capacité économique chez les jeunes. S’il faut déployer assez de moyens pour les choses improductives. On pourrait aussi imaginer qu’il n’y a pas encore une prise de conscience pour réorienter les revenus vers les initiatives d’auto prise en charge.
Tableau II : Capacités économiques des jeunes pour accompagner les initiatives mises en place
Jeunes diplômés
Niveaux d’études | Nombres
| Faible capacité économique des jeunes | Forte capacité économique des jeunes |
Titulaires de licence | 29 | 22 | 07 |
Titulaires de master | 11 | 09 | 02 |
Total | 40 | 31 | 09 |
Source : Enquêtes de terrain, juin 2024
Les résultats des enquêtes montrent clairement que les jeunes entrepreneurs éprouvent de difficultés par rapport au financement de leurs activités. Nous constatons que 31 sur les 40 enquêtés soit 77.50% des informateurs qui attestent une faible capacité économique chez les jeunes. C’est seulement 09 sur les 40 soit 22.50% des informateurs sont ceux qui estiment qu’il y a par endroit certains jeunes qui ont une forte capacité économique. Parmi ceux qui estiment qu’il y a des jeunes ayant une forte capacité économique, un informateur nous dit ceci :
« J’ai rencontré parmi les jeunes entrepreneurs de ma localité, un qui m’a émerveillé de par sa capacité à faire prospérer son idée d’entreprise. Quand j’ai échangé avec lui, j’ai compris qu’il avait reçu des proches à lui des notions pour une éducation financière. C’est justement cela qui l’aide. Il avait un parent qui l’amenait depuis le bas âge dans les ateliers ou les séminaires où les gens débattaient la question du développement. Il me faisait comprendre qu’il fonctionne avec beaucoup de caisses et que ses investissements partent d’abord de ses propres avoirs. C’est justement auprès de lui que j’ai eu l’information selon laquelle, on ne peut pas compter tout le temps sur les autres. Il me faisait aussi comprendre que les éléments de succès d’une entreprise passent par la capacité des entrepreneurs à avoir des actifs pour financer au début leurs propres idées d’entreprises. Puisqu’au départ, les gens ne vont pas vous croire tout de suite. Il faut donc du temps. Durant ce temps, il faut avoir les moyens de votre désir et de votre politique » (M. A., 37 ans, juin 2024).
En abordant dans le même sens que le précédent informateur, un autre met l’accent sur la capacité économique des jeunes lorsqu’ils qu’il part de l’esprit d’équipe.
« Les coopératives et les groupements des jeunes et des femmes ne marchent pas souvent parce que les jeunes manquent des notions de l’esprit d’équipe. La plupart des grands entrepreneurs savent qu’au départ c’est toujours difficile et personne ne peut dire le contraire. Mais lorsqu’on est en groupe ou en équipe, les uns peuvent soutenir les autres. C’est qui qu’il plutôt enseigner aux jeunes de nos jours. Quand on ensemble, on est plus fort. Personne ne peut aussi ignorer la force du groupe » (H. N., 45 ans, juin 2024).
3. Discussions
A la suite de la phase empirique de ce travail, nous abordons cette phase de discussion pour analyser les différents résultats obtenus. D’abord, en nous focalisant sur le modèle d’analyse retenu, Crozier and Friedberg (1977), on peut déjà souligner que ce travail a montré la rationalité selon laquelle les comportements et le choix ne sont jamais gratuits mais toujours en raison des objectifs que poursuivent les acteurs et en fonction des moyens dont ils disposent. On peut de ce fait se dire que le rejet ou l’acceptation des jeunes à aller vers l’entrepreneuriat est bien réfléchi. De ce fait, les jeunes en quête d’emplois développent des stratégies et des attitudes pouvant leur permettre d’atteindre des buts précis. Ici, on peut voir dans le but poursuivi la capacité de se faire une identité socioprofessionnelle à travers l’image qu’on présente ou un emploi qui vous permet de vous valoriser dans la société. On peut déjà prendre leçon des théories du capital humain développées par Becker (1964) et celle de transition vers le marché d’emploi de Elder and Koné (2014). Ces théories trouvent leur ancrage dans l’ensemble des aptitudes, talents, qualifications et expériences capitalisées par les humains en l’occurrence les jeunes dont ils doivent faire preuve à travers leurs images en société. Ce phénomène exerce une forte influence sur les jeunes qui sont parfois obligés de recourir aux activités peu reluisantes et empruntes de haut risque : l’arnaque, le vol, la cybercriminalité, le démarchage, etc. Le secteur privé donne la peur et présente un fort taux de risques aux jeunes et aux employés. Ce qui crée de la réticence des jeunes diplômés malgré leur nombre important à aller vers le système capitaliste en valeur fondamentale des entreprises privées.
Nous avons retenu au cours de cette recherche que les jeunes sont plus attirés par le gain facile. On peut comprendre qu’il leur manque certainement des choses dont il faut leur apporter. Nous pensons nous appuyer sur les travaux de Michaud et al. (2020) qui estiment que les compétences donnent à priori le maintien d’un emploi. Au même moment, on peut se demander si en fuyant l’entrepreneuriat on peut acquérir la compétence puisqu’on est aussi conscient qu’elle ne s’acquiert pas sans expérience pratique. Nous pouvons entrevoir un renforcement de capacité aux jeunes pour leur faciliter l’insertion socioprofessionnelle à travers les idées d’entreprise ou leur vie en entreprises. En cela nous pouvons aider, comme l’a souligné Vultur (2003), à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes « désengagés ».
Les résultats de cette recherche montrent aussi que les crises socio-économiques ont une influence sur les jeunes en particulier sur leur engagement à l’entrepreneuriat. On peut évoquer par exemple les contraintes liées à la conjoncture économique en général au Bénin et en particulier à Abomey-Calavi qui peut induire la restriction du marché de l’emploi. Nous pensons qu’il faut trouver les voies et moyens pour permettre à l’entrepreneuriat de continuer à jouer son rôle dans cet environnement. Ce serait une manière de valoriser les travaux de Mariko (2012), qui dans son travail sur l’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur au Mali, conclut que l’entrepreneuriat est un secteur en proie à l’emploi. Tous les acteurs quel que soit leur rang, sont appelés à réfléchir sur les stratégies à développer à l’endroit des jeunes pour une grande motivation aux initiatives privées (Julhe & Honta, 2014).
Nous avons, par ailleurs, noté que les formalités administratives aussi participent aux freins des initiatives privées. A cet effet, le peu d’entreprises disponibles ne sont pas en mesure de s’ouvrir à une grande échelle. Ce qui nous amène à confirmer que le tissu économique du Benin concoure d’avantage à la concurrence observée.
Conclusion
Aux termes de cette recherche visant à analyser les contraintes politiques, socio-économiques et individuelles de l’entrepreneuriat des jeunes diplômés dans la commune d’Abomey-Calavi, des résultats ont été enregistrés. Lesdits résultats tournent autour des formalités administratives et crises socio- économiques ; la peur et les risques d’échec des initiatives privées chez les jeunes à Abomey-Calavi et enfin le goût prononcé du gain facile et l’insuffisance des moyens de subsistance chez les jeunes diplômés à Abomey-Calavi.
En ce qui concerne les formalités administratives et crises socio- économiques, la figure n° 2 nous permet d’apprécier le type de relations entre l’administration publique et les entreprises. Il faut signaler que cette relation est mal appréciée par les informateurs.
Abordant le volet de la peur et des risques d’échec des initiatives privées chez les jeunes à Abomey-Calavi, la figure n° 3 traite de la concurrence déloyale entre les entreprises privées. Les informateurs à 88% ont trouvé que dans la commune d’Abomey-Calavi, il y a une forte concurrence déloyale. Pour certains d’entre eux, cette concurrence s’explique par la dominance de l’informelle. Quant à la figure n° 4, elle présente l’incapacité managériale des responsables et des collaborateurs en entreprises qui constitue un vrai frein pour le développement des entreprises.
Enfin, les questions du goût prononcé du gain facile et de l’insuffisance des moyens de subsistance chez les jeunes diplômés ont été également abordées. A cet effet, la figure n° 5 relate la durée mise pour faire asseoir une initiative privée afin de rentabiliser selon les informateurs rencontrés dans la commune d’Abomey-Calavi. De cette recherche, les jeunes en majorité estiment longue la durée de rentabilité des entreprises. De la figure n° 6, nous pouvons dire selon les informateurs que beaucoup sont les entreprises de la ville d’Abomey-Calavi qui doivent aux employés. Cela amène les employés à changer régulièrement d’entreprises et à être dans une certaine instabilité professionnelle. En conséquence, les crises naissent entre les employeurs et les employés.
Références bibliographiques
Abdoulaye, S. (2004). Insertion professionnelle des jeunes diplômés au Sénégal: Analyse de la situation. Contraintes et perspectives. UCAD.
Becker, G. S. (1964). Human capital: a theoretical and empirical analysis, with special reference to education. University of Chicago Press
Brechbühl, B. (2017). Jeunes en difficulté d'insertion, entre autonomie et dépendance familiale Haute École de Travail Social]. Genève.
Coovi, G., & Noumon, C. R. (2020). Insertion Socioprofessionnelle des Jeunes au Bénin : entre Employabilité Publique, Privée ou Personnelle. African Sociological Review/Revue Africaine de Sociologie, 24(1), 105-130.
Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système. Seuil.
Elder, S., & Koné, K. S. (2014). Transition vers le marché du travail des jeunes femmes et hommes en Afrique Sub-Saharienne. BIT.
Julhe, S., & Honta, M. (2014). Privé ou public : le « choix » du statut d'emploi au sein d'un même groupe professionnel. Formation emploi, 128(4), 31-46.
Mariko, O. (2012). L'insertion professionnelle des diplômés de l'enseignement supérieur au Mali : cas de la politique d'aide à l'entrepreneuriat Université de Grenoble]. Grenoble
Michaud, R., Bernier, A., & Ben Mansour, J. (2020). L’adéquation formation-emploi : concepts et pratiques de gestion des ressources humaines. Relations industrielles/Industrial Relations, 75(2), 296-320.
Oladjehou, A. J., & Nouatin, S. D. (2021). Environnement socio-économique, contraintes et échecs des petites et moyennes entreprises dans la ville de Porto-Novo Djiboul 2(2), 408-425.
Vultur, M. (2003). Le chômage des jeunes au Québec et au Canada : tendances et caractéristiques. Relations industrielles, 58(2), 232-257.




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