LA COOPÉRATION SINO-AFRICAINE À L’ÉPREUVE DE LA LOGIQUE LOCALE DE « LA LUTTE POUR LA SURVIE »
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- 1 juin
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Résumé A travers les relations de coopération économique entre la Chine et l’Afrique, deux logiques s’opposent et s’affrontent : celle du marché fondé sur les ambitions mercantiles des acteurs chinois et celle des populations africaines basée sur les stratégies locales de survie. Si la première se sert d’une rhétorique tiers-mondiste et antioccidentale, la seconde, par contre, tient aux pratiques sociales et environnementales locales. Aboutissant à l’instauration des échanges commerciaux asymétriques, leur opposition engendre un sentiment de mécontentement et d’insatisfaction qui conduit à la méfiance et à des manifestions populaires contre les acteurs chinois dans leur pays d’accueil. Générant de nouveaux enjeux, elle nécessite l’élaboration des plans d’action communs pour repenser cette coopération sino-africaine afin de l’adapter aux objectifs de tous les acteurs. Mots clés : coopération sino-africaine, logique locale, lutte pour la survie
Abstract Through the economic cooperation relations between China and Africa, two logics oppose and clash: market’s logic based on the mercantile ambitions Chinese’s actors and African’s logic based on their local survival strategy. If the first uses third worldist and anti-western rhetoric, the second, on the other hand, is based on local social and environmental practices. Leading to the establishment of asymmetric trade, their opposition generates a feeling of discontent and dissatisfaction which leads to distrust and popular demonstrations against Chinese’s actors in their host country. Generating new challenges, it requires the development for joint action plans to rethink this China and African’s cooperation in order to adapt it to all actors objectives. Keywords : Sino-african cooperation, local logic, survival’s fight |
INTRODUCTION
Les relations de coopération économique entre la Chine et l’Afrique se sont considérablement accrues durant ces dernières décennies. Elles dépassent les anciennes réalisations chinoises au sein du continent et deviennent l’un des enjeux contemporains de l’économie politique internationale. Elles permettent à la Chine de maintenir sa croissance économique grâce à ses échanges commerciaux et à l’Afrique de diversifier ses partenaires extérieurs. Au travers de cette évolution, la présente étude examine la manière dont la Chine se sert d’une rhétorique anti-occidentale et tiers-mondiste pour conquérir le marché africain, d’une part, et la façon dont les populations africaines réagissent face à la présence chinoise au sein du continent, d’autre part.
De nombreuses analyses comme celles de Liu Qingjian et Jean-Pierre Cabestan soutiennent que la Chine utilise un « discours idéologique recentré autour d’une coopération Sud-Sud plus gagnante-gagnante que désintéressée et fondée sur la non-ingérence dans les affaires intérieures dans le but de mieux affaiblir le poids relatif de l’Occident dans les affaires mondiales et d’y consolider le sien » (CABESTAN, 2015). Elle crée une nouvelle dynamique économique et masque ses anciennes motivations idéologico-politiques au sein du continent en se faisant passer pour un État « défenseur » des pays africains (STRUYE DE SWIELANDE, 2011) matérialisé par ses prises de position au sein des institutions multilatérales.
Cependant, les acteurs chinois investissent dans les pays du continent où les conditions d’existence des populations locales, caractérisées notamment par la misère, imposent la mise en place d’une véritable stratégie individuelle et collective de survie, parfois loin du cadre étatique. Ces populations se débrouillent dans l’économie informelle et défendent souvent leur mode de vie face aux entrepreneurs étrangers (KUMA NDUMBE III, 2007). Elles les accusent de piller les ressources naturelles de leurs pays et les maintiennent dans la pauvreté. De ce fait, elles résistent contre certaines de leurs pratiques extraverties en engendrant un sentiment de mécontentement et luttent pour leur survie. Ces « résistants-africains » forgent une tendance générale à la xénophobie qui justifie des reproches et des manifestations à l’encontre de ces acteurs chinois.
Aboutissant à la controverse qui oppose deux logiques : celle de la loi du marché soutenue par les officiels chinois contre celle de la survie des populations locales tenant à leur survie, ces manifestations antichinoises n’exigent-elles pas de repenser cette coopération sino-africaine afin de l’adapter aux ambitions de ses acteurs ? La perception locale de ce modèle d’échanges ne devrait-elle pas être à la base des accords de coopération entre les partenaires chinois et africains ? S’appuyant sur une approche qualitative fondée sur des analyses factuelles, cette étude s’inscrit dans une perspective indépendantiste et panafricaniste. Cependant, l’institutionnalisation des rencontres entre les dirigeants chinois et africains permet, en partie, de pacifier leur modèle de coopération, de redynamiser leurs relations, d’élaborer des plans d’action communs et d’intensifier leurs transactions économiques et commerciales.
Visant à dépasser les divers préjugés sur le partenariat extérieur en l’Afrique, cette analyse s’articule autour de quatre points dont le premier donne les motivations de la présence chinoise au sein du continent africain. Le deuxième examine les échanges sino-africains. Le troisième cherche le fondement des réactions des populations locales face à la présence chinois. Enfin, le dernier détaille certaines manifestations antichinoises en Afrique.
1. Les motivations de la présence chinoise en Afrique
Les échanges entre la Chine et l’Afrique sont partis de l’appui politique et idéologique chinois à plusieurs mouvements de libération nationale au sein du continent africain (SNOW, 1988). Malgré de « bons » rapports politiques entretenus par de nombreux dirigeants africains avec le leader chinois Mao Zedong, il a fallu attendre les années 1990 pour voir la Chine s’intéresser davantage aux ressources naturelles du continent. Elle y développe ses relations bilatérales, tantôt avec l’Union africaine, tantôt avec chacun de ses pays membres, en poursuivant des échanges commerciaux dont le volume ne cesse d’augmenter d’année en année.
Ainsi, les relations sino-africaines ont évolué en trois phases au cours des six dernières décennies dont la première a commencé vers les années 1950 avec des soutiens politiques et idéologiques aux mouvements de décolonisation jusqu’aux réformes politiques des années 1970. Au cours de cette période, la Chine a fourni un appui politique et militaire aux pays africains pour consolider leurs indépendances (JACKSON, 1955). Puis, elle a financé et construit le chemin de fer reliant la Zambie à la Tanzanie, Tanzania-Zambia Railway Authority (TAZARA), devenu la principale route commerciale vers l’Océan Indien. La deuxième couvre la période allant des réformes politiques chinoises au renforcement de ses relations bilatérales avec le continent, vers les années 1980, après l’acquisition de son capital financier et de son expérience de développement (De LOOY, 2006). La dernière phase coïncide avec la fin de la guerre froide des années 1990, la recherche d’appui extérieur pour sa reconnaissance internationale et l’intensification de ses échanges économiques (TAYLOR 1988) pour poursuivre son développement. Durant cette période, la coopération sino-africaine a privilégié le volet économique, commercial et les investissements.
Pourtant, les contacts entre les peuples chinois et africains sont antérieurs à la rencontre de Bandoeng en 1955 et lient notamment la côte chinoise de Guangzhou aux côtes tanzaniennes de Kunduchi, près de Dar-es-Salaam et kenyanes autour de Malindi et Lamu. Ils laissent voir que ces peuples ont tissé des liens commerciaux depuis la plus haute antiquité (LELIEVRE, 2004). Ainsi, les navires chinois ont commercé avec les côtes orientales de l’Afrique et les échanges du riz, des bijoux ou de la porcelaine contre la peau de léopard, les ivoires ou les cornes de rhinocéros se sont poursuivis, sans aucun intérêt spécifique pour l’une ou l’autre partie, à travers des intermédiaires arabes, grecs, perses, indiens ou indonésiens. Ce passé commun est fréquemment évoqué comme le sous-bassement de la coopération sino-africaine et l’un des fondements de la rhétorique tiers-mondiste cimentant la « Chinafrique ».
Par ailleurs, la renaissance sociale et le changement de la conjoncture politique et économique de l’Afrique, au cours de ces dernières décennies, ne cessent d’attirer les investisseurs chinois dont les entreprises multinationales qui s’enracinent dans les secteurs des infrastructures, des matières premières et des produits énergétiques. Les considérations mercantiles tendent à justifier l’engouement des acteurs chinois en Afrique et le poids économique de leur pays y devient important (GHORRA-GOBIN, 2012). S’adaptant aux conditions sociales et économiques de l’Afrique, ces acteurs chinois concluent des contrats d’échanges des infrastructures contre l’exploitation des ressources naturelles en masquant leurs ambitions politiques et économiques internationales. Les prêts qu’ils octroient gardent aussi un caractère commercial. Les rencontres de haut niveau et les contacts officiels qui accompagnent leurs échanges offrent des opportunités pour la signature de leurs accords de partenariat.
Les motivations politico-diplomatiques chinoises en Afrique
Si le soutien chinois aux leaders indépendantistes et anticolonialistes africains des années 1950-1970 a été essentiellement politique, idéologiq**ue et militaire, la Chine ne se contente plus de ce soutien pour diffuser ses déterminants structurels liés à son régime et à son modèle d’organisation au sein du continent. Par ailleurs, l’Afrique reste toujours un enjeu politique et diplomatique majeur entre Pékin et Taipei (TAYLOR, 1998). La rupture des relations avec Taiwan, visant son isolement extérieur et la reconnaissance d’une seule Chine, sont vues comme une conditionnalité politico-diplomatique avant tout rétablissement des échanges de coopération bilatérale avec la Chine.
C’est dans ce contexte que le volet diplomatique, accompagnant les échanges sino-africains est constitué de la défense des intérêts de la Chine et des pays africains au sein des institutions multilatérales et de l’isolement de Taiwan sur la scène internationale (CHUNG-LIAN, 2003). Il permet à la Chine de se présenter à la fois comme un « protecteur » des intérêts de l’Afrique et comme un acteur « désintéressé » à sa gouvernance politique et à l’utilisation de ses crédits financiers.
En somme, au travers de ses divers soutiens politiques et diplomatiques à l’Afrique et à ses dirigeants, la Chine recourt également à son droit de veto contre certaines résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et se soustrait de certaines restrictions internationales en matière de fourniture d’armes et de munitions de guerre. En échange à ses actions politiques et militaires, elle s’attend à l’appui diplomatique de nombreux pays africains non seulement pour isoler Taiwan mais aussi pour soutenir ses projets régionaux et internationaux.
Les motivations économiques et commerciales chinoises en Afrique Les accords portent sur des projets dans le domaine de l'énergie et sur la construction d'une nouvelle ligne ferroviaire traversant le Kenya d'est en ouest, de la côte de l'Océan Indien à la frontière ougandaise.
Les accords portent sur des projets dans le domaine de l'énergie et sur la construction d'une nouvelle ligne ferroviaire traversant le Kenya d'est en ouest, de la côte de l'Océan Indien à la frontière ougandaise.
Les accords portent sur des projets dans le domaine de l'énergie et sur la construction d'une nouvelle ligne ferroviaire traversant le Kenya d'est en ouest, de la côte de l'Océan Indien à la frontière ougandaise.
Pékin n’a jamais cessé de privilégier les relations économiques et commerciales avec ses partenaires africains. Le lancement du programme des « quatre modernisations »[*] sous l’impulsion de Deng Xiaoping et les réformes de l’économie chinoise dans les années 1990 ont consacré la diversification de la coopération chinoise en Afrique (SUN, 2014) et la mise en place notamment du Forum bilatéral de discussion sino-africain. Constituant un cadre de concertation et de négociation visant à redynamiser leurs liens historiques en vue d’intensifier leurs échanges commerciaux, cette rencontre bilatérale a permis à la Chine d’élaborer sa politique africaine tant au niveau du continent qu’à celui des États.
Sur base de sa politique extérieure de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays partenaires, la Chine développe des activités économiques et commerciales en Afrique et s’attire la confiance de ses dirigeants qui lui facilitent l’accès aux ressources naturelles de leurs pays. Elle s’appuie également sur les réseaux de ses entreprises et de ses commerçants, qui jouent un triple rôle : celui de lui permettre de disposer des points d’accès dans presque toutes les capitales africaines, d’y accroître les débouches de ses produits et d’y constituer une de ses sources de revenus et d’investissements (PICQUART, 2004), pour fonder l’ancrage local de sa coopération, faciliter la pénétration de ses produits et de sa culture au sein du continent et y étendre son aire d’influence à travers la construction des infrastructures.
A titre illustratif et dans sa diplomatie énergétique en Afrique, la Chine construit et/ou réhabilite des usines de raffinage et des infrastructures de transport des hydrocarbures tels que des oléoducs et des gazoducs, de routes, de chemins de fer et de ports afin d’accroître la production et l’exportation pétrolière africaine (MORIN-ALLORY, 2007). Ces entreprises chinoises s’intéressent également à l’exploitation des minerais d’uranium, de cuivre, de l’or, de cobalt, de la bauxite, des phosphates, de fer, de platine, de manganèse, … que regorge l’« Afrique minière » et aux terres arables africaines. Bien qu’elles aient des stratégies et des modes opératoires particuliers en Afrique, ces acteurs chinois ont des intérêts commerciaux qui s’étendent aussi au trafic d’ivoires, à la vente de la drogue et d’autres produits tels que les cornes de rhinocéros alimentant les réseaux locaux de corruption et de contrebande (BROYER, 2002). Ces transactions échappent souvent au contrôle des instances compétentes locales de régulation.
2. Les échanges économiques et commerciaux entre la Chine et l’Afrique
Le commerce avec le continent africain est devenu, durant plus d’une décennie, au centre de la politique économique chinoise dite « Go global » (BRAUTIGAM, 2011). En développant ses relations économiques avec les pays africains, la Chine mise notamment sur ses capacités financières à octroyer des crédits, sa flexibilité aux règles de la gouvernance démocratique et économique ainsi que sur son modèle de coopération dans un continent où la demande de biens de consommation est forte et la concurrence est faible. Par conséquent, les échanges commerciaux entre la Chine et les pays africains deviennent de plus en plus importants. Ces transactions tendent à constituer un des enjeux géostratégiques et économiques majeurs du monde moderne (STRUYE DE SWIELANDE, 2009). Se matérialisant notamment par le ballet diplomatique au Sommet et par l’augmentation du nombre d’entreprises chinoises opérant au sein du continent africain, elles entrainent une diversité des modes opératoires utilisés par les acteurs chinois pour conquérir le marché intérieur africain et atteindre leurs objectifs.
Sur le terrain africain, la coopération chinoise se visualise, durant ces dernières années, notamment par l’octroi, en 2004, d’une ligne de crédit de 2 milliards de dollars à l’Angola ; la conclusion, en 2007, pour un montant initial de 9 milliards de dollars, des « contrats chinois » en République Démocratique du Congo (RDC); le rachat de 20 % des parts de la banque sud-africaine « Le Standard » par Industrial and Commercial Bank of China Limited (ICBC) ; la croissance des investissements dans les exploitations du cuivre en Zambie, du pétrole au Soudan du Sud et au Gabon, du charbon au Zimbabwe ; l’acquisition des terres au Cameroun, en Ouganda, en RDC et en Éthiopie ; la construction des barrages en Zambie et au Ghana ; le lancement des projets d’infrastructures dans plusieurs pays africains ; la mise en place des liaisons aériennes directes notamment avec Luanda et Harare (NIQUET-CABESTAN, 2006). Bien que le discours qui accompagne ces échanges se fonde sur les intérêts des parties, il ne dévoile pas clairement les motivations politiques et économiques de la présence chinoise en Afrique.
Cependant, certains milieux politiques africains et étrangers ainsi que d’autres analystes soutiennent que ce rapprochement se justifie notamment par les exigences de la Chine d’investir de nouveaux marchés pour exploiter les ressources naturelles de l’Afrique ; la quête d’alliances et de soutiens au sein des institutions multilatérales ; le besoin d’accroître son influence économique et d’assurer sa reconnaissance internationale (SANTANDER, 2014). Les visées de la Chine sont alors dictées par le souci de maintenir sa croissance économique, de développer son commerce et de légitimer ses actions dans la gestion des affaires mondiales.
Disposant de plusieurs acteurs de coopération lui facilitant la conquête du marché pétrolier, minier ou agro-forestier africain, la Chine procède de diverses manières dont la sécurisation de ses approvisionnements en pétrole et en matières premières, l’implantation locale de ses entreprises, la signature des accords commerciaux, la coopération au développement et la collaboration militaire. Parmi ces acteurs, figurent les entreprises multinationales chinoises qui deviennent de grands bailleurs de fonds investissant dans les infrastructures et l’exploitation des matières premières africaines, des banques publiques et privées pour y financer ses projets, y accorder des facilités financières et y vendre ses divers produits. Par la suite, ces acteurs y recourent aux diverses pratiques financières dont l’achat des parts du capital des compagnies existantes ou l’association avec les industries locales pour former des sociétés de joint-venture. Liant les partenaires chinois et africains, celles-ci permettent aux parties de bénéficier du soutien politique et diplomatique de leurs pays en institutionnalisant leurs relations de collaboration économique et commerciale.
Malgré certaines spécificités nationales des pays africains dues notamment à leur contexte géo-historique et politico-économique ainsi qu’aux modalités particulières de leurs relations avec la Chine, le mode opératoire général de ces acteurs chinois va de l’acquisition des terres à l’extraction des minerais, de la construction des infrastructures de communication à celles de centrales hydroélectriques et des oléoducs, des échanges commerciaux des produits de consommation de masse au renforcement de la capacité de production...
Par ailleurs, les visées socialistes de la Chine constituent aussi l’une des stratégies de l’arrivée de ses entreprises dans certains pays africains en proie à des guerres et rebellions comme le Soudan ou l’Angola en faisant la promotion et la vente de leurs armes et de leur technologie à travers la coopération militaire qui se sert des compagnies chinoises North Industry Corporation (NORINCO) et Polytech Industries (WOETS, 2006). En plus, la Chine accorde également des bourses d’études qui attirent les futurs dirigeants africains à se former dans ses écoles et universités. A long terme, ceux-ci rentrent dans leurs pays après leurs études et pérennisent les échanges sino-africains en influençant l’avenir politique et économique du continent.
À la suite de la dynamique de leurs relations économiques et commerciales, les investissements chinois en Afrique ont évolué en trois phases dont la première a commencé vers les années 1980 au cours de laquelle les entreprises chinoises ont inverti plus de 51,19 millions de dollars dans 102 projets parrainés par leur gouvernement en vue de conquérir le marché intérieur africain. La deuxième a coïncidé avec l’émergence de ses entreprises et l’amélioration du climat des affaires au sein du continent vers les années 1990. À partir des années 2000, c’est la dernière phase caractérisée par l’amélioration des politiques gouvernementales et de leurs marchés (CHUN, 2013). Ainsi, dans les années 2010, la Chine a investi 2,1 milliards de dollars en Afrique qui est devenue l’une des principales destinations de ses investissements après l’Asie et l’Europe.
Dans la même perspective, la Chine a mis en place un fonds de développement et un prêt spécial pour les petites et moyennes entreprises africaines visant notamment à augmenter les échanges par l’octroi de prêts et d’aides « sans intérêts » en vue de promouvoir leurs activités commerciales et crée des zones spéciales de coopération économique et commerciale au sein du continent. Elle a même consenti l’annulation de la dette extérieure d’environ 31 pays africains… en vue d’augmenter ses investissements.
Les secteurs d’investissements chinois en Afrique
Ayant des aspects particuliers, les investissements chinois se caractérisent notamment par une croissance des fonds disponibles, une large couverture de l’espace territorial, une diversité de formes des sociétés à capitaux étrangers et mixtes, une association des bailleurs de fonds publics et privés, une pluralité de secteurs économiques dont les activités extractives, les finances, la construction, les manufactures, les services, la recherche et développement, le commerce, l’agriculture, l’immobilier… Ceux-ci sont les domaines d’activités privilégiés des investisseurs chinois en Afrique. C’est à titre indicatif qu’en 2010, la Chine a investi 2,1 milliards de dollars au sein du continent africain dans les infrastructures, l’exploitation des matières premières, l’électronique, les télécommunications, les transports (BAENDA FIMBO, 2019) et a transformé l’Afrique en troisième bénéficiaire de ses IDE.
Par ailleurs, si l’Ethiopie oriente sa coopération dans le domaine de l’énergie, des transports et de la technologie, l’Ile Maurice, par contre, concentre ses principales activités dans le tourisme et la télécommunication avec le groupe chinois Huawei et ZTE. Dans le même ordre d’idées, la Chine conclut certains contrats pour avoir le droit de pêche dans d’importantes zones maritimes du Sénégal, de la Sierra Léone ou du Libéria (CROS, 2006).
Les principaux pays africains bénéficiaires des IDE chinois
La coopération sino-africaine est dynamique et évolue rapidement. Cette évolution montre qu’en 2012, la Chine a signé plusieurs traités bilatéraux d'investissement et a établi des mécanismes de commissions économiques conjointes avec de nombreux pays africains. Elle se fonde sur les stratégies économiques de la Chine visant à diversifier ses sources d’approvisionnement et à implanter ses entreprises multinationales en « Afrique pétrolière et minière ». Ainsi, le Nigéria occupe la première place des destinations africaines privilégiées par les investisseurs chinois, suivi de l’Algérie et de l’Afrique du Sud. Malgré ses potentialités énergétiques, minières et agro-forestières, la RDC se retrouve en cinquième position après l’Ethiopie. Cette classification se réfère au montant des investissements dans le domaine des hydrocarbures, des mines, de transport, de l’immobilier, de l’agriculture, des finances et des technologies (BAENDA FIMBO, 2019). Quoique dynamique, elle ne reprend pas les prêts, les aides, les bons du trésor, les opérations financières et boursières ainsi que les investissements cuprifères de la Zambie.
Les principaux fournisseurs africains de la Chine
Si le pétrole congolais place la RDC en septième position des Etats exportateurs de l’or noir en Chine après des pays tels que le Nigéria, l’Algérie ou le Soudan du Sud, le cuivre zambien, par contre, attire le dixième de ces investissements. Dans les faits, le Nigéria engrange plus d’une dizaine de milliards de dollars par an pour ses hydrocarbures où les actifs du Groupe Total sont rachetés par la Sinopec alors que ceux de South African Petroleum sont vendus à la Cnooc.
Les autres fournisseurs africains des hydrocarbures sont notamment l’Angola ou le Congo Brazzaville qui attirent également d’importants montants d’investissement chinois (D’ABOVILLE et SUN, 2010), bien devant les produits agricoles du Zimbabwe ou du Cameroun. Si l’Ethiopie alimente aussi la Chine en énergie, l’Ile Maurice, par contre, est la destination touristique préférée des chinois alors que le Sénégal, la Sierra Léone ou le Libéria sont des zones de pêche très sollicitées par des chalutiers chinois (CROS, 2006).
Somme toute, les données officielles des douanes chinoises confirment l’asymétrie du commerce sino-africain. Elles permettent de déduire que les achats de la Chine en Afrique sont supérieurs à ses ventes. L’analyse de ces données montre qu’entre 2000 à 2012, le volume du commerce sino-africain est passé de 3,82 % à 16,13 %. Il est constitué des exportations africaines vers la Chine passées de 3,76 % à 18,07 % et des importations africaines en provenance de la Chine évoluées de 3,88 % à 14,11 % (BAENDA FIMBO, 2019). Le déséquilibre de ce commerce laisse voir que l’Afrique a vendu plus à la Chine qu’elle y a acheté. Par conséquent, l’enthousiasme que manifestent certains dirigeants chinois et africains lors de la signature des contrats de coopération contraste avec la réticence et les craintes des autres pays et institutions internationales. Ceux-ci invitent les Etats africains et leurs peuples à jouer leur rôle et les appellent à réfléchir sur les stratégies capables de définir la nature de leurs relations avec la Chine en vue de défendre efficacement leurs intérêts vitaux (STREMLAU, 2015). Ils encouragent les populations africaines à réagir contre les ambitions mercantiles des acteurs chinois au sein de leur continent.
3. Le fondement des réactions locales vis-à-vis de la présence chinoise en Afrique
Le dynamisme des relations économiques et commerciales sino-africaines est considéré comme une menace croissante pour certaines populations locales. Leur sentiment d’insatisfaction, suivi des critiques qu’elles adressent à la Chine, se répand rapidement dans d’autres milieux. Il s’accentue avec les reproches et les accusations de certains médias étrangers qui dénoncent la conquête du marché intérieur africain ainsi que le pillage des ressources naturelles de ce continent par les entreprises multinationales chinoises (DAVID et LEFEVRE, 2015) qui n’accordent que peu d’importances aux valeurs sociales et environnementales des pays d’accueil. Par ailleurs, leur présence ne rassure pas certaines organisations sociales africaines qui fondent leurs inquiétudes sur les accords de prêts que ces entreprises multinationales chinoises conditionnent non seulement à l’exclusivité des contrats mais aussi à la consommation de leurs produits et services (RICHER, 2009).
D’autres insistent sur la pratique de ces entreprises consistant à recourir à la main d’œuvre étrangère (HOCHET et De JAEGERE, 2010), au dumping social, à l’opacité de leurs comptes, au déplacement forcé de certains paysans (CRIEKINGE, 2008) et à la dégradation de leur environnement. Bien plus, l’acquisition des terres arables africaines par ces entreprises et la mise en place de l’agriculture intensive d’exportation au détriment de la culture vivrière locale exacerbent le mécontentement au sein des populations rurales (BARRAUD, 2009). De leur côté, certains dirigeants des finances africaines soutiennent qu’en transformant rarement les matières premières sur place et qu’en y vendant ses produits manufacturés, la Chine freine l’industrialisation des pays du continent (AUDE, 2013) et la création de nouveaux emplois.
Ces remous sociaux sont à la base de la divergence d’opinions nationales et internationales sur l’incidence réelle « coût-bénéfice » de la coopération sino-africaine et suscitent des éclaircissements permanents des autorités chinoises. Ainsi, l’appréciation de la présence chinoise au sein des pays africains reste mitigée à la suite notamment de l’absence d’impacts significatifs sur l’amélioration des conditions de vie de nombreux ménages des pays d’accueil (DIABY, 2014) et le risque des manifestations populaires grandit par manque d’emplois locaux durables. Du coup, la situation change et l’arrivée des entreprises et des migrants chinois devient une menace à l’équilibre socio-économique de nombreux pays africains. Dans l’entretemps, les commerçants chinois cristallisent la méfiance des populations locales qui les accusent d’inonder leurs marchés avec des produits contrefaits (BERTONCELLO et BREDELOUP, 2009), de fraude douanière, de violation aux législations nationales, de concurrence à l’économie locale et informelle. S’écartant des préoccupations sociales et environnementales africaines, les activités de ces entreprises chinoises créent la désolation auprès d’une franche importante de la classe ouvrière locale et de la masse paysanne. Cette désolation est à la base de la crise de confiance issue de la prise de conscience de certains mouvements sociaux locaux et justifie l’apparition du sentiment d’hostilité, d’agressivité et de xénophobie (JUNG PARK, 2012) observé dans certaines villes africaines.
Lorsque les uns remarquent que le mécontentement des populations africaines se fonde sur les ambitions des entreprises multinationales chinoises à exploiter leurs ressources naturelles en favorisant leurs propres intérêts, les autres, par contre, notent l’absence du transfert de la technologie contribuant au maintien du continent africain dans la dépendance technique en le transformant en un réservoir des matières premières et un déversoir de son excédant démographique. Toutes ces motivations tournent autour du devenir des peuples africains dans un monde en mutation. Elles nécessitent la mise en œuvre des stratégies locales pour défendre les intérêts des masses populaires. Par conséquent, dans plusieurs pays africains, des mouvements de solidarité naissent et prennent de l’ampleur, des actions de revendications se préparent et se précisent, des manifestations dégénèrent et leurs actions convergent vers la seule logique de la lutte pour la survie. Cette lutte peut être considérée comme la capacité qu’ont les manifestants de revendiquer leurs droits afin de légitimer leurs actions pour leur existence face aux enjeux multiformes des acteurs chinois. Autrement dit, elle symbolise la défense de leur mode de vie et de leurs moyens de subsistance.
Ce mécontentement s’est notamment intensifié avec l’expiration de l’accord multifibre libéralisant le commerce du textile qui inquiète les agriculteurs de nombreux pays africains où le textile occupe une place non négligeable dans l’économie nationale. La perte de débouchés par les producteurs locaux conduit à la suppression d’emplois et à l’augmentation du chômage (MUTUME, 2006). Conduisant au rejet de la présence chinoise, cette compétition économique justifie des agressions et des stigmatisations dont certains acteurs chinois sont l’objet auprès des populations de leurs pays d’accueil. Ainsi, des manifestations antichinoises sont enregistrées un peu partout en Zambie, au Nigeria, en Sierra Leone, au Mozambique, en Éthiopie, en Algérie, à Madagascar, aux Iles Maurice, en RDC, en Afrique du Sud, … dont certaines tournent à la violence, suivie des morts et d’importants dégâts matériels. Elles se manifestent dans les pays africains producteurs des hydrocarbures ou fournisseurs des minerais, voire même dans ceux qui abritent des terres arables…
4. Les manifestations antichinoises au sein du continent africain
Le sentiment de méfiance contre les pratiques des acteurs chinois dans leurs pays d’accueil remplace progressivement l’enthousiasme suscité par leur arrivée au sein du continent. Bien que certains pays soient moins touchés par la gronde sociale et économique que d’autres, les manifestations antichinoises tendent à se généraliser dans toutes les sous-régions africaines. Remettant en cause la portée réelle de la perception chinoise de la coopération Sud-Sud, elles exigent la mise en place des mécanismes locaux de rééquilibrage des relations économiques et commerciales avec les partenaires chinois.
Les revendications antichinoises dans les pays africains producteurs des hydrocarbures
Ces revendications n’ont pas les mêmes motivations. Elles se justifient soit par des raisons économiques, sociales et/ou religieuses comme en Algérie, soit par des motifs purement économiques comme au Nigéria, au Gabon, au Niger ou encore au Tchad. C’est dans ce différent contexte que ces mécontentements tendent à provoquer une crise diplomatique entre ces exportateurs africains du pétrole et la Chine (OLIMAT, 2015). Si le contact entre les entrepreneurs chinois et la population algérienne est souvent émaillé de violences et d’affrontements à la suite du refus de la création de « Chinatown » à Alger par les migrants chinois et d’autres abus sociaux (ZHU, 2010), la présence chinoise inquiète également les insurgés du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND) au Nigéria. Ceux-ci ne cessent de secouer le pays par des explosions des voitures piégées devant les raffineries de pétrole dont celle de Warri et les prises d’otages chinois libérés contre le paiement de rançon (MICHEL et BEURET, 2008). Ils dénoncent le déséquilibre des relations commerciales sino-nigérianes obligeant leur pays à troquer ses ressources naturelles contre des devises et des produits chinois. Ces actions violentes amènent leurs dirigeants à entreprendre des réformes économiques et des modifications de la législation locale sur l’octroi des licences d’exploitation du pétrole aux entreprises chinoises ainsi qu’à l’application de la politique de « local content » afin de créer de nouveaux emplois et de mettre en œuvre les programmes socio-économiques de soutien au développement local.
Si la crise sino-nigériane est souvent résolue par le dialogue et la négociation, le bras de fer entre les entrepreneurs chinois et les autorités gabonaises conduit souvent à des poursuites judiciaires et à des mesures de nationalisation. Tel est le cas du contentieux avec la société Addax petroleum, une filiale du Sinopec exploitant le champ pétrolier d’Obangue à la suite du manquement à ses obligations contractuelles ayant entrainé le retrait de son permis d’exploitation et la création de la compagnie nationale « Gabon Oil Company » (FARGE, 2013). Réglé devant la cour arbitrale de la Chambre internationale de commerce de Paris par la condamnation de l’Addax petroleum, ce différend s’est terminé par la signature d’un accord de fin du contentieux.
Par contre, si les enlèvements des ingénieurs chinois dans les mines d’uranium de Niamey par les rebelles Touaregs est la matérialisation du mécontentement antichinois au Niger (DEYCARD, 2007), à N’Djamena, par contre, ce sont les syndicats et le gouvernement tchadien qui sont à la base des manifestations antichinoises. Ainsi, contre les entreprises pétrolières chinoises, les organisations syndicales tchadiennes dénoncent leurs mauvaises conditions de travail et réclament des augmentations salariales en appelant à la grève générale. De son côté, le gouvernement tchadien reproche à la China National Petroleum Corporation International Tchad (CNPCIC), la filiale locale du groupe chinois CNPC, de polluer le bassin de Bongor et de détruire l’écosystème local (BATE, 2013). Ayant fermé le site pétrolier de Koudalwa, il impose une compensation financière et une participation étatique dans toutes les exploitations pétrolières en contrepartie de la suspension des poursuites judiciaires contre ce groupe pétrolier chinois.
Dans le même contexte, l’opacité qui entoure le contrat d’exploitation du gisement pétrolier d’Agadem au Niger contre un prêt chinois et la construction de la raffinerie de Zinder dans la région de Diffa par la même firme chinoise engendrent un mécontentement au sein du gouvernement nigérien. Par ailleurs, les abus liés au remboursement du coût des infrastructures et le non-respect des engagements sociaux envers les populations locales (ROSEN, 2015) poussent les manifestants à réclamer la renégociation de ces accords.
Les manifestations antichinoises dans les pays africains fournisseurs des minerais
Les motivations économiques et politiques justifient globalement les agitations antichinoises dans les pays africains exportateurs des matières premières tels que la Zambie, la RDC et le Ghana où leurs populations manifestent contre la présence des acteurs chinois dans leur pays. Si les accidents de travail dans les entreprises minières chinoises entrainant la mort des ouvriers locaux constituent l’un des principaux facteurs déclenchant les manifestations antichinoises à Lusaka, c’est plutôt l’exploitation illégale des minerais par des migrants chinois qui justifie le mécontentement des populations d’Accra. À Kinshasa, par contre, des pratiques chinoises considérées comme un soutien aux dirigeants congolais, favorisant la corruption et le paiement illicite de taxes pour leur maintien au pouvoir, ont transformé les émeutes de janvier 2015 en un règlement de compte contre les commerçants et les migrants chinois (OLANDER, STADEN et MALM, 2015). Ce soulèvement populaire congolais, occasionné officiellement par le retard dans la mise en place des réformes démocratiques et la tentative de modification de la loi électorale, était précédé par des accusations contre la Chine d’alimenter l’insécurité dans le pays notamment par la vente des armes (SHINN and EISENMAN, 2012) à la suite de la délocalisation d’une partie de ses installations militaires du Soudan à Kamina et de l’ouverture d’une base interarmées à Matadi (HUGON, 2008). À ces griefs, s’est ajoutée la pollution de l’environnement (NTUMBA, KANZ et BWENDA, 2015). Ces abus ont entrainé des violences causant la mort et les arrestations des exploitants miniers chinois notamment en Ituri.
En Zambie, par contre, la négligence des normes de sécurité professionnelle dans les firmes chinoises dont l’usine d’explosifs de l’institut de recherche général des mines et de la métallurgie African Mining of China, du groupe chinois Non Ferrous Metal Mining, à Chambishi ayant causé la mort des mineurs zambiens en 2005, a justifié le mécontentent des ouvriers locaux (LEE, 2009). Soutenus par les opposants politiques, les employés du textile et les organisations des droits de l’homme, ces ouvriers ont organisé des manifestations antichinoises ayant conduit à l’annulation de la visite du Président chinois Hu Jintao à Lusaka.
Si ces revendications n’aboutissent pas à la chasse des acteurs chinois de la Zambie, le gouvernement ghanéen, par contre, décrète une campagne d’expulsion des mineurs illégaux chinois se trouvant dans le champ d’exploitation des minerais ainsi que la création, à partir des recettes pétrolières, de « Ghana Stabilization Fund » pour la stabilisation de l’économie nationale et de « Ghana Heritage Fund » procurant des revenus pour les générations futures (AYENSU, 2013). Ces décisions politiques réservent également les privilèges d’exploitation de petits gisements miniers aux nationaux. Les contrevenants chinois, dont la majorité vient des villages environnants de la ville de Changlin et exploitant la mine d’or à Dunkwa-on-Offin, sont purement et simplement expulsés (SANTHEBENNUR, 2013).
Dans le même contexte, les conflits économiques, sociaux et ethniques sont à la base des manifestations antichinoises en Afrique du Sud. Celles-ci sont le résultat non seulement de la frustration des populations locales contre les étrangers mais aussi des tensions ethniques entre deux groupes linguistiques chinois : les cantonais et le hakka de la province du Guangdong (JUNG PARK, 2008). Ainsi, les descendants d’anciens migrants chinois se réclamant de la citoyenneté sud-africaine se considèrent toujours comme des étrangers. Ces « sud-africains chinois » se distinguent de nouveaux venus qualifiés des taiwanais. Ils se liguent souvent avec les autochtones contre ces « taiwanais » qu’ils accusent de violer les lois nationales. De ce litige, nait un véritable problème identitaire et générationnel rendant difficile la cohabitation entre les différents groupes ethniques chinois dans leur pays d’accueil.
Cependant, cette question identitaire n’est pas la principale cause des revendications sud-africaines contre les entrepreneurs chinois. Celles-ci ont une motivation économique. L’inquiétude nationale issue du déséquilibre de la balance commerciale sino-sud-africaine est à la base des accusations antidumping contre la Chine auprès des institutions multilatérales. (NIQUET-CABESTAN). À leurs échanges économiques asymétriques, s’ajoutent l’implication des chalutiers chinois dans la pêche au filet maillant illégal, la vente illicite d’ormeau et d’ivoire, le trafic illégal des cornes de rhinocéros et de drogue, la concurrence déloyale, les mauvais traitements professionnels et le chômage des jeunes (JUNG PARK, 2012).
Les révoltes antichinoises dans les pays africains abritant des terres arables
Les malentendus politiques et économiques, l’exclusion des populations locales lors des négociations sur leurs terres ainsi que l’insécurité foncière et alimentaire engendrent les violences contre les investisseurs chinois notamment au Cameroun et en Ouganda. Si le premier différend sino-camerounais est lié aux relations de coopération entre le Cameroun et Taïwan (GWETH, 2011), l’achat et/ou la location des terres arables par les exploitants agricoles chinois dans les villages de Ndjoré et de Nanga-Eboko au Cameroun ou de Rwamutunga en Ouganda est à la base des récentes manifestations antichinoises à Yaoundé et à Kampala.
À travers ces revendications, les paysans camerounais et ougandais réagissent contre ce qu’ils qualifient de « l’expropriation » de leurs patrimoines fonciers. Par ailleurs, la fondation allemande Freidrich Ebert Stiftung insiste sur la fragilité de l’économie camerounaise sous les effets des entreprises chinoises (GWETH, 2015) et épingle l’asymétrie de leurs échanges. Ceux-ci engendrent des manifestations qui dégénèrent en violents affrontements.
Dans le même contexte, les manifestations antichinoises en Ouganda n’ont qu’une motivation socio-économique. Elles se fondent sur la crise alimentaire aggravée notamment par l’acquisition de vastes terres agricoles par des entreprises multinationales chinoises pour pratiquer l’agriculture d’exportation afin de satisfaire les besoins de leurs pays (CNUCED, 2010). Cette situation entraine la hausse du prix des denrées alimentaires et exacerbe le mécontentement social, suivi des soulèvements populaires pour protéger les producteurs locaux et soutenir l’agriculture vivrière. Ces « mécontents » ougandais réclament leurs droits à l’autosuffisance alimentaire et à la propriété foncière.
Par ailleurs, l’expansion des manifestations antichinoises ne cesse de créer également des inquiétudes et des remous sociaux dans d’autres pays du continent africain. Ceux-ci engendrent des réactions différentes auprès de dirigeants politiques locaux et de leurs populations.
Les réactions populaires antichinoises dans quelques autres pays africains
Dans de nombreux pays d’accueil des migrants chinois, les relations de coopération économique et commerciale avec la Chine entrainent des réactions diverses. Si elles conduisent à des revendications violentes dans certaines capitales africaines comme Nairobi ou Dakar, elles se caractérisent plutôt par des mouvements de résistance pacifique et de résignation de la part des producteurs et des populations d’Harare (BAENDA FIMBO, 2019). Néanmoins, toutes ces diverses manifestations constituent l’expression d’un mécontentement populaire caractérisé soit par la méfiance, soit par la résistance, ou encore par la xénophobie.
Ainsi, l’ambiguïté des réactions zimbabwéennes face aux activités des entreprises multinationales chinoises est due à la situation socio-économique « catastrophique » que traverse ce pays (MOYO, 2000), accentuée par les pratiques illégales des acteurs chinois. Doublées des mauvaises conditions de travail et de l’asymétrie de leurs échanges, ces pratiques entrainent deux réactions économiques. D’une part, elles conduisent à une série de mesures de sensibilisation constituées des campagnes de conscientisation des consommateurs nationaux dénommées « Buy zimbabwean » menées principalement par le syndicat « Zimbabwean textile works union » contre les produits importés chinois. D’autre part, elles aboutissent à la prise des mesures d’adaptation des produits locaux aux biens importés chinois par des usines nationales en alliant les matériaux chinois et locaux suivant le besoin du marché (FARJON, 2011). Ainsi, certains produits fabriqués localement portent les marques chinoises et d’autres fabriqués en Chine possèdent des logos locaux.
Cependant, ces manifestations « pacifiques » zimbabwéennes se situent aux antipodes des réactions violentes kenyanes contre la présence chinoise en Afrique orientale. Celles-ci sont les conséquences du mécontentement populaire contre le braconnage et la contrebande entretenus par les marchands chinois qui favorisent l’abattage des espèces protégées et le trafic illicite dans cette région du continent africain (KIJIMWANA MHANGO, 2016). Violant les lois nationales et internationales sur la protection de la faune, ce commerce illégal entraine des violences contre les acheteurs chinois. À la suite de ces réactions, le gouvernement kenyan instaure des sanctions judiciaires pour traquer tous les acteurs impliqués dans ce commerce illicite en vue d’inciter les autres pays de la région à durcir leurs règlementations en vue de mettre un terme à ce trafic illégal dans le but de protéger les espèces menacées (IFAW, 2013). Malgré toutes ces mesures, les propriétaires des cargaisons illicites d’espèces protégées, leurs destinataires, leurs expéditeurs et d’autres intermédiaires sont souvent difficiles à identifier afin de les sanctionner.
Dans d’autres contextes, les manifestations antichinoises à caractère économique dans certains pays africains masquent les anciennes velléités politiques et idéologiques. Tel est le cas du Sénégal où le litige politique né de la reconnaissance de Taipeh par le gouvernement socialiste dakarois justifie la méfiance sino-sénégalaise (STAMM, 2006). Cependant, les récentes revendications sénégalaises ont des motivations économiques et se fondent sur le déséquilibre des échanges commerciaux dû à l’abondance des produits chinois sur le marché local (STAMM, 2006). Rendant la cohabitation difficile entre les commerçants chinois et locaux, ces échanges asymétriques aboutissent aux agressions et intimidations contre les acteurs chinois. Celles-ci dégénèrent parfois en manifestations violentes entrainant la mort de certains commerçants chinois et en journées « villes mortes » paralysant toutes les activités économiques du pays. Elles se transforment également en règlement de compte et finissent souvent devant les cours et tribunaux.
CONCLUSION
Les relations de coopération sino-africaine ont évolué dans le temps, passant des interventions politico-idéologiques et diplomatiques en faveur des mouvements indépendantistes et révolutionnaires africains aux échanges économiques et commerciaux. Doublée des diverses motivations politiques, socio-professionnelles et religieuses, ces échanges économiques et commerciaux asymétrique sino-africains appuyés par le discours de solidarité des dirigeants chinois, se trouvent aux antipodes de l’appréciation populaire de la présence chinoise en Afrique. Ce qui entraine un sentiment de mécontentement de la part de certains peuples africains. Engendrant des inquiétudes basées sur les pratiques des acteurs chinois et leurs méthodes d’actions sur le terrain, ces échanges asymétriques suscitent la méfiance de nombreuses populations des pays d’accueil.
Leur mécontentement est à la base de la crise de confiance et ne facilite pas la cohabitation pacifique entre les acteurs chinois et locaux, d’une part, et entraine l’exclusion des migrants chinois au sein des communautés africaines, d’autre part. Etant à l’origine des revendications qui légitiment leur « lutte pour la survie » face aux enjeux complexes des bailleurs de fonds et autres acteurs chinois, il entraine des manifestations populaires qui conduisent parfois aux réactions violentes et/ou au slogan du type « go home, China » dans plusieurs pays du continent.
C’est dans ce contexte que les relations de coopération sino-africaine sont perçues comme une menace à l’équilibre social et économique de nombreux pays africains. Ces derniers forgent leur prise de conscience afin qu’ils ne se transforment pas en terre d’exploitation des ressources naturelles ni de dépendance vis-à-vis de la Chine. Cette prise de conscience encourage la mise en place d’une résistance populaire exigeant la défense du mode de vie des populations locales, la protection des producteurs africains et l’élaboration des mécanismes locaux de rééquilibrage des échanges commerciaux avec la Chine en stimulant le dynamisme des stratégies locales de réciprocité économique à l’égard des acteurs chinois.
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[*] Il s’agit du programme de la modernisation de l’industrie et du commerce, de l’éducation, de la défense et de l’agriculture.




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