BIPARTITION CONSTITUTIONNELLE A L’AUNE DE LA POLITIQUE PROTESTATAIRE EN RDC. PRAGMATISME POLITICIEN ET DECRYPTAGE PROSPECTIVISTE
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- 30 oct.
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Bokakandani Masomi-Ngambo
Bokakandani Masomi-Ngambo est Doctorant au département de Sciences Politiques et Administratives de l’Université de Kinshasa et chercheur au Centre d’Etudes Politiques (CEP) de la même Université. Ses recherches portes sur la gouvernance démocratique et sécuritaire ainsi que la politique protestataire.

Résumé
L’instabilité constitutionnelle en RDC est alimentée par les débats sur la révision de la Constitution et les tentatives de modification des articles verrouillés. Elle provoque notamment la politique protestataire et ouvre la voie plusieurs scénaries.
Cette dynamique est analysée, dans cette réflexion, à travers le prisme du pragmatisme politicien et du décryptage prospectiviste.
Mots clés : Bipartition constitutionnelle ; politique protestataire ; pragmatisme politicien ; décryptage prospectiviste.
Summary
Constitutional instability in the DRC is fueled by debates on the revision of the Constitution and attempts to modify locked articles. In particular, it provokes protest politics and opens the way for several scenarios.
This dynamic is analyzed, in this reflection, through the prism of political pragmatism and prospective deciphering.
Introduction
L'Afrique est réputée comme un continent en proie aux instabilités protéiformes (Abada 2021). La réforme de la Constitution est l’une des causes qui alimente ces instabilités. La préoccupation majeure dans cette réflexion est celle de savoir, pourquoi et comment la révision de la Constitution ou ses tentatives pourraient-elles alimenté ces instabilités en RDC.
En réalité, il s’agit de la « bipartition constitutionnelle » à l’aune de la politique protestataire en RDC. En effet, le bipartisme/bipartition est le Système politique qui s'appuie sur la coexistence de deux partis (Duverger 1955, 1981; Sartori 2011).
En s’inspirant, de cette notion, nous appliquons dans cette réflexion le bipartisme à l’aune des débats sur la révision de la Constitution, en RDC. Ce débat est dominé par les partisans du respect des articles verrouillés et par les adeptes de la révision de ces dits articles. D’où l’expression « bipartisme constitutionnel ». Ainsi, le « bipartisme constitutionnel » constitue une notion dualiste à la dimension et logique ternaire. Elle désigne à la fois les deux grandes doctrines (Constitution souple et Constitution rigide) en matière d’élaboration de la Constitution, à la fois les articles verrouillés et non verrouillés d’une Constitution. Il en va ainsi pour fois les débats autour de la révision de ces deux types d’articles à l’aune d’une éventuelle révision de la Constitution, par des protagonistes antagonistes.
En analysant la « bipartition constitutionnelle » à l’aune de la politique protestataire en RDC, nous pensons que les éléments de réponses à cette préoccupation peuvent se retrouver dans le pragmatisme politicien et le décryptage prospectiviste.
Aussi, la « bipartition constitutionnelle » est analysée ici dans le cadre de la réforme constitutionnelle. Sur ces entrefaites, il devient intéressant de considérer également les impacts d’une telle réforme, à la fois dans le champs politique que sociétal. Il va falloir, alors, mobiliser une théorie susceptible de prendre en charge l’explication d’une telle démarche. La prospective semble être la théorie la mieux indiqué pour y parvenir. En d’autres termes, la réforme constitutionnelle est étudiée sous plusieurs perspectives théoriques. Certaines analyses se sont penchées sous le prisme de la transitologie, en mettant en exergue « les transitions politiques et changements constitutionnels » (Thiriot 2017; O’donnell, Schmitter, and Whitehead 2013; Banégas 1993).
D’autres envisagent les réformes constitutionnelles sous l’angle de l’autoritarisme (Gobe 2012). De plus, une autre série d’analyse exploite la révision constitutionnelle sous l’angle démocratique, en mettant notamment sur la sellette la dialectique de la stabilité et du changement (Boudreault 1999). Mais peu d’auteurs se focalisent sur la prospective.
En effet, sous le prisme de la prospective, leur réflexion sur la Constitution française a été orientée vers les diverses évolutions possibles et souhaitables du régime français, au regard des dysfonctionnements identifiés.
Toutefois, en se basant également sur la prospective, notre réflexion prend dans la présente contribution une orientation différente. Celle de saisir les dispositions tangibles et intangibles à l’aune de la protestation politique. En réalité c’est la concurrence ou la dialectique entre les deux postures (dispositions) constitutionnelles (tangibilité et intangibilité) qui occasionnent les protestations politiques et ouvrent la voie aux diverses évolutions possibles, souhaitables ou non souhaitables sur le régime politique. C’est dans ce sens que l’impact du Pragmatisme politicien façonne les scénarios possibles dans une perspective prospectiviste. Les scénarios ainsi proposées ici, sont faites pour éclairer les choix stratégiques des acteurs du champs du pouvoir et du champs politiques pour une meilleure destinée de la RDC.
Par ailleurs, l’économie de cette réflexion est le fruit de nos observations du champs politique congolais et des différents débats entre les partisans du respect des articles verrouillés et leurs réfractaires. De plus, hormis l’exploration documentaire des différentes contributions relatives à la révision constitutionnelle, nos observations révèlent que ce duel se transpose également dans la rue par des manifestations de protestation contre les initiateurs et les défenseurs de la révision des articles verrouillés de la Constitution du 18 février 2006.
C’est ainsi que la présente contribution aborde quatre (4) axes ci-après : le pouvoir de révision constitutionnelle en RDC entre les limites temporelles et les limites matérielles (1) ; la tangibilité et l’intangibilité comme débat doctrinaire et concurrentiel ouvert (2) ; Les politiques protestataires comme impact des débats et pratiques des protagonistes doctrinaires (3). Le pragmatisme politicien et décryptage prospectiviste (4).
I. La révision constitutionnelle en RDC : entre Limites temporelles et limites matérielles
L'article 218, tel que modifié par l'art. 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC), traite de l'initiative et de la procédure de la révision constitutionnelle. Les articles 219 et 220 fixent respectivement les limites conjoncturelles (temporelles) et matérielles de la révision constitutionnelle.
I.1. Limites temporelles à la révision constitutionnelle congolaise : l’inhibition concurrentielle
Certaines constitutions bornent le pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps. Ces limites temporelles éclosent de deux manières : soit la Constitution interdit sa révision avant l'écoulement d'un certain délai à partir de sa mise en vigueur, c’est ce que nous désignons par l’inhibition rectificatif de la Constitution. Soit, elle exclut sa révision dans certaines circonstances, c’est ce que nous qualifions dans cette réflexion d’inhibition occurrenncielle. De ces deux cas de figures que la deuxième a retenu l’attention des constituants congolais.
Ainsi, la Constitution de la RDC exclut sa révision dans certaines hypothèses (circonstances, moments, états) exceptionnelles comme l’état de guerre, d’urgence, de siège, ou pendant l'intérim à la présidence de la République ; Mais aussi, lorsque les deux Chambres du Parlement se trouvent empêchées de se réunir librement (article 219).
I.2. Limites matérielles à la révision constitutionnelle congolaise
La Constitution congolaise interdit la révision de certaines de ses dispositions. C’est pourquoi, elle a prévu des matières qu’elle-même a déjà exclues de toute révision comme celles énumérées à l’article 220 ; c’est le cas notamment du suffrage universel, du nombre et de la durée des mandats présidentiels. Elle prévoit une telle intangibilité afin que sa révision ne puisse pas porter sur toutes les matières. Ainsi, la révision totale de la constitution congolaise est exclue. De ce fait, les limites matérielles à la révision constitutionnelle congolaise ne peuvent être mieux appréhendées que sous le prisme des dispositions intangibles.
I.2.1. Controverse sur l’intangibilité de l'article 220
L'article 220 institue l'intangibilité de certaines dispositions constitutionnelles. En réalité, elle impose certaines limites à la révision constitutionnelle. Toutefois, une certaine opinion estime qu’elle laisse une brèche qui pourrait conduire à justifier une certaine révision, car elle ne protège pas sa propre intangibilité. On pourrait donc la modifier sans toucher aux matières irrévisables. Kaluba Dibwa est de ceux qui incarnent cette opinion ; Il soutient que « l’article 220 verrouille les matières, ce n’est pas l’article en lui-même qui est verrouillé, il ne se verrouille pas, donc il y a la possibilité d’être révisé (Le Tambour 2024).
Pourtant, d’autres ont soutenu que pour préserver l’irréversibilité qu’il institue, l’article 220 ne doit pas lui-même être modifiable ; sinon, il ne poursuivrait plus son but et entraînerait la fragilisation de l’irréctifiabilité. De plus, le fait que son irrévisabilité ne soit pas envisagée explicitement par la Constitution peut faire penser à une lacune, sans doute involontaire, liée au fait que les rédacteurs ont voulu s’inspirer de l’article 89 de la Constitution française de la Ve République, mais sans tenir compte de la controverse doctrinale au sujet de cette disposition. Il est donc nécessaire que l’article 220 prévoie aussi sa propre irrévisabilité, à l’instar de l’article 197 de la Constitution belge (Texte coordonné du 17 février 1994) qui énumère les matières ne pouvant pas faire l’objet d’une révision et qui se protège aussi lui-même contre toute révision (wa Kaniki and Matolu 2024; Mbata 2024; Lumanu 2024).
Une autre opinion estime que l’intangibilité de l'article 220 est relative. En d’autres termes, il ne peut donc être révisé, ni dans le sens de modifier le contenu des dispositions intangibles, ni dans celui d'en diminuer le nombre. Il ne peut être touché que pour s'intangibiliser ou intangibiliser d'autres dispositions constitutionnelles (Milolo 2024; Mwabilay and Le Bref 2022). Autant, une autre analyse souligne qu’il est vrai que l’intangibilité de cette disposition est relative, car elle a d’abord pour mission de rendre intouchable d’autres dispositions. Cela ne veut donc pas dire qu’elle est révisable en vue d’extirper la clause d’éternité. Seule une révision-ajout peut être envisageable en vue de rendre l’article 220 expressément intangible (Milambo 2016).
En tout état de cause, il y a lieu de faire remarquer que l’esprit ou l’idée du constituant originaire n’était pas celle de relativiser l’intangibilité, mais celle d’une intangibilité absolue afin d’éviter toute révision des dispositions intangible ainsi que l’article 220 lui-même. En d’autres termes, le groupe d’experts ayant réfléchi sur l’avant-projet de la Constitution du 18 février 2006 qui a été soumis au référendum, a voulu tirer les leçons de l’instabilité politique de la RDC. Parmi ces raisons, il sied de souligner, notamment, les révisions intempestives de la constitution pour s’éterniser au pouvoir. Pour empêcher cette dérive autoritaire, il fallait à tout prix verrouiller certains articles de la constitution, afin de garantir la stabilité politique. Voilà pourquoi nous sommes d’avis avec Kabiena (2025) lorsqu’il fait remarquer que la surproduction ou l’inflation constitutionnelle a eu pour conséquence la naissance de la crise de la citoyenneté patriotique. Le contexte politique d’élaboration de différentes constitutions connues en RDC est rattaché à la recherche des intérêts personnels des individus (Tshisambu 2024).
Aussi, face à cette controverse doctrinaire, la théorie de l’interprétation qui mette en évidence « la doctrine du sens clair » est indispensable. En effet, au-delà de l’absence d’une explication claire d’une disposition, il y a lieu de mobiliser, de prendre et de considérer cette disposition, non seulement dans son sens « naturel », « ordinaire », « usuel », ou « normal », mais aussi en tenant compte de l’esprit et la lettre de la constitution, sans oublier la philosophie ayant guidé le constituant originaire à produire ladite disposition (Pescatore 1960).
I.2.2. Dispositions intangibles
Dans le domaine des limites matérielles, la Constitution congolaise prévoit sept (7) limites matérielles. Ainsi, selon l'article 220, les dispositions suivantes sont intangibles : La forme républicaine de l'État (Chapitre 1er, Section 1ère) ; Le principe du suffrage universel (article 5 al. 4) ; La forme représentative du Gouvernement (article 90 al. 3) ; Le nombre et de la durée des mandats du Président de la République (article 70) ; L'indépendance du pouvoir judiciaire (article 149) ; Le pluralisme politique et syndical (article 6). Interdiction de toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne (Titre II et article 61) ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées.
Malgré la clarté de ces dispositions intangibles, le débat entre l’intangibilité et la tangibilité est récurrent, surtout à la fin du deuxième et dernier mandat présidentiel notamment entre l’opposition politique et la classe dirigeante. Pour exemple, prenons le cas de l’année 2016, année de la fin du mandat de Joseph Kabila au pouvoir.
Cette année, a été marqué par beaucoup de soubresauts, pour ne pas la qualifier de cruciale. Cruciale non seulement parce que, conformément à la Constitution congolaise, elle devait sonner le glas de seize années de règne de Joseph Kabila, mais également parce qu’une large partie de l’opposition et de la société civile congolaise avait juré que le président devrait partir le 19 décembre 2016 au plus tard, au besoin de force. Rien ne s’est passé dans ce sens. Le changement tant attendu n’a pas eu lieu. Kabila est resté au pouvoir. C’est ce qui est dénommé dans le jargon politique congolais de « glissement »[1]. En réalité, le « glissement » a été la conséquence de l’absence du consensus entre les tenants de la tangibilité de la Constitution, incarnés par le pouvoir et les défenseurs de l’intangibilité de la Constitution symbolisée par l’opposition. C’est cette absence qui a contraint la Majorité Présidentielle (MP) à adopter une stratégie de « glissement » pour le maintien du pouvoir en place (Nyenyezi Bisoka et al. 2017).
Aussi, le débat autour de ces deux postures constitutionnelles (l’intangibilité et la tangibilité des articles dits verrouillés) a eu également d’autres conséquences, tant dans l’opposition que dans la majorité présidentielle (MP). Cette dernière s’est efforcée d’occasionner, de créer et de renforcer des divisions qui existaient déjà au sein de l’opposition politique congolaise (Nyenyezi Bisoka et al. 2017). Au-delà des dialogues, notamment ceux qui ont connu la facilitation de l’Union Africaine avec Eden Kodio et de l’Eglise catholique avec la CENCO, qui se sont soldés par le débauchage de certains ténors de l’opposition pour la formation du Gouvernement, la MP a saisi également la Cour constitutionnelle, qui a consacré le glissement. Voici la quintessence de l’interprète de l’article 70 de la Constitution par la Cour constitutionnelle : « en cas de non-organisation d’élections, il appartiendrait au président de continuer à exercer le pouvoir » (Nyenyezi Bisoka et al. 2017).
Mais 2016 aura aussi été l’année de grandes difficultés politiques de la Majorité présidentielle : il s’agit surtout des schismes qu’elle a connus et qui ont conduit au départ de certains de ses grands ténors dans l’opposition politique (Nyenyezi Bisoka et al. 2017).
II. Tangibilité Contre intangibilité : débat doctrinaire et concurrentiel ouvert
La bipolarisation du débat idéologique sur la révision constitutionnelle tourne autour de la tangibilité et de l’intangibilité, et structure la bipartition du constitutionalisme en RDC. Cela revient à souligner qu’au regard de l’enjeu de l’accession ou la conservation du pouvoir l’espace politique reste dominé respectivement par les partisans de l’intangibilité et de la tangibilité. En d’autres termes, ce sont plus les tenants du pouvoir qui suggèrent et défendent la révision même des articles intangibles et c’est l’opposition politique, qui est souvent rétracteur à cette logique. L’histoire socio-politique récente de la RDC nous renseigne comment le Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD), partie au pouvoir sous le règne de Joseph Kabila s’est battu pour la révision des articles verrouillés de la Constitution. Tandis que, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), principale partie de l’opposition de l’époque s’y est opposée.
En réalité, c’est à partir de l’ouvrage d’Evariste Boshab[2](2013) intitulé « entre la Révision de la Constitution et l’inanition de la Nation », considéré par l’opposition comme un ballon d’essai de l’idée de réviser les articles verrouillés de la Constitution, que les différentes manifestations dénommer « ne touche pas à ma constitution/ne touche pas à mon article 220 », ont proliférer.
De ce qui précède, il convient de faire observer que la lecture de la Constitution n’est pas toujours la même, selon qu’on se trouve dans l’opposition ou du côté du pouvoir. Pour rappel, de 2013 à 2018, le PPRD, alors parti au pouvoir, a prôné la révision des articles verrouillés, tandis que l’opposition, avec en tête l’UDPS, s’est battue pour le respect de ces articles. Avec les élections de 2018, l’UDPS a accédé au pouvoir et a émis en 2024 son intention de réviser, voire même de changer la Constitution. Cependant, le PPRD, qui a basculé dans l’opposition, s’y est opposé. Cette posture souligne qu’avec le dernier mandat d’un parti au pouvoir, la tentation de réviser les articles verrouillés ou de changer la Constitution devient plus forte, dans le but de s’éterniser au pouvoir.
Il est donc à constater que les défenseurs, de la tangibilité totale, a l’instar d’Evariste Boshab, qui préconisent la prise en compte des réalités de la société dans la production du droit rejette le principe d'intangibilité qui résulte, justement, des leçons tirées de la réalité vécue par la RDC. Ce paradoxe ne fait que renforcer l’idée selon laquelle le changement de la constitution est motivé par le maintien et la pérennité au pouvoir des dirigeants.
Cependant, la préoccupation majeure de ce texte n’est pas de verser dans le débat sur la tangibilité ou l’intangibilité de la Constitution, ni sur l’opportunité de son changement. Il s'agit plutôt de démontrer pourquoi et comment ce débat — tangibilité/intangibilité — ainsi que les tentatives d'application respective ou exclusive, construisent le lit des politiques protestataires.
III. Politique protestataire comme impact des débats et pratiques des protagonistes doctrinaires
La politique protestataire (contestataire) englobe des phénomènes variés comme les mouvements sociaux, les émeutes, les cycles de protestation, les révolutions, les transitions à la démocratie, les guerres civiles ou encore les luttes nationalistes (Mathieu 2009).
Ainsi, la politique protestataire comme impact des débats et pratiques des protagonistes doctrinaires voudrait signifier que les discussions et polémiques sur la révision ou le changement de la Constitution a des répercussions sur l’échiquier politique et la rue. Sur ces entrefaites, il y a lieu la fin du règne de joseph Kabila a placé la rue sous les projecteurs. En d’autres termes, le soulèvement burkinabè puis la révolte de janvier 2015 à Kinshasa ont placé la rue au centre du jeu politique congolais. Du côté pouvoir, la stratégie a consisté à détruire les capacités de mobilisation supposées de l'opposition et à la coopter dans un dialogue devant entériner le « glissement » du mandat de Kabila. Du côté opposition, l'agitation de la menace d'un soulèvement de la rue a servi à compenser la marginalisation au sein des contre-pouvoirs institués (Polet 2016).
En réalité, même-si les dirigeants peuvent tenir et maitriser tous les leviers du pouvoir, la rue peut surprendre par des protestations violentes et le faire reculer. Une telle maitrise n’est pas synonyme d’une garantie du succès à la reforme (changement / révision) de la Constitution, car la rue demeure une équation énigmatique susceptible de tout basculer ou de freiner la dynamique du changement constitutionnel jusqu'à balayer le régime en place. Cela signifie que, les tentatives du changement de la constitution entrainent l’émergence de politique protestataire.
Sans prétendre à l’exhaustivité, certaines illustrations, à l’échelle africaine, méritent d’être remémorées à ce sujet. En 2014, la tentative de la révision constitutionnelle a entrainé la chute du régime du Président Burkinabé, Monsieur Blaise Compaoré, par la rue (Hagberg et al. 2015). En 2001, malgré une majorité confortable en sa faveur, Frederick Chiluba ne réussit pas à faire modifier la Constitution pour le permettre à briguer un troisième mandat, comme le président de la Zambie. Donc, les tentatives de modification des articles verrouillés, à l’exemple de celui sur la limitation du nombre de mandats peuvent ne pas aboutir (Van Donge 2009).
Par ailleurs, d’autres présidents africains bafouent tout simplement les Constitutions en déposant carrément leurs candidatures aux Conseils Constitutionnels ou cours suprêmes de leurs pays. Mais au-delà d’agacer notamment l’élite politique et/ou la rue, cette tentative peut même provoquer le mécontentement des élites militaires. C’est ce qui s’est passé au Burundi en mai 2015 contre le Président sortant Pierre Nkurunziza provoquant ainsi une tentative de coup d’état manqué. La principale cause de cette tentative était la validation de la candidature du Président sortant Pierre Nkurunziza par le Conseil Constitutionnel pour briguer un troisième mandat, alors que la Constitution l’en empêchait (Reyntjens 2021).
En RDC, les débats sur la révision des articles verrouillés provoqués par l’ouvrage d’Evarist Boshab (2013) ainsi que la réforme de la loi électorale ont provoqué des manifestations politiques et des émeutes entre 2013 et 2018, et empêché le troisième mandat de Joseph Kabila.
Aussi, il y a lieu de faire remarquer que la fin du mandat présidentiel crée un contexte où le « bratalisme » au sens d’Achille Mbembe (2023) devient le carburant du régime sortant. En invoquent la notion du « brutalisme », Mbembe suggère que cela constitue une pathologie de la modernité. Cette dernière est la transformation de la force en dernier mot de la vérité de l'être dans la mesure où elle engage une sorte d'épreuve existentielle.
Cette posture relève aussi de ce qu’il convient de qualifier du « pragmatisme politicien » ; elle est susceptible d’imprimer un futurible pertinent. C’est ce que nous comptons développer dans les lignes qui suivent.
IV. Pragmatisme politicien et décryptage prospectiviste
En politique, le pragmatisme comme recherche de résultat à tout prix ne convient pas ; car elle est l’une de sources de perversion des systèmes politiques en général et des démocraties en particulier (Geyres 2011).
Ainsi, ce pragmatisme est qualifié de politicien s’il répond davantage aux manœuvres de la classe dirigeante, qui placent et défendent leurs intérêts et ambitions personnelles au détriment de l’intérêt général et des enjeux vitaux du pays. C’est sous ce prisme, que Jean François Bayart (2006) considère comme la politique du ventre, qu’il convient de considérer la motivation de certains défenseurs du changement ou de la révision de la Constitution.
Par exemple, en 2011, c’est-à-dire cinq ans après l'adoption de la Constitution, le régime du Président Kabila a fait passer une révision de la Constitution concernant huit articles. De ce fait, la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 a davantage amélioré les intérêts des acteurs politiques que l’intérêt général. Parmi les retouches, l'élection du président au scrutin universel a été ramenée à un tour au lieu de deux. Cela a eu pour effet d'assurer la réélection du président sortant face à une opposition morcelée entre plusieurs candidats (Randrianarimanana 2024).
En d’autres termes, la réforme constitutionnelle de 2011 a été réalisée pendant l’année électorale 2011 et au bénéfice de la classe dirigeante, notamment du président de la République ainsi que des parlementaires. Sur huit articles modifiés, la moitié (c’est le cas des articles 71, 197, 198 et 218) l’a été au profit du premier cité. Par conséquent, les deux tours de l’élection présidentielle ont été réduits à un seul tour (article 71). Celui-ci peut dissoudre une assemblée provinciale, relever de ses fonctions un gouverneur de province (articles 197 et 198), et convoquer un référendum pour l’approbation d’une révision constitutionnelle (article 71). Les prérogatives du Président de la République sont ainsi renforcées après cette révision.
Ce scénario est presque similaire à celui de la Constitution de 1964, dite Constitution de Luluabourg. Cette dernière a été élaborée dans des conditions suspectes à la demande du Président Kasa-Vubu, qui souhaitait se voir attribuer des pouvoirs plus étendus. Elle a généré des conflits entre ce dernier et son Premier ministre, Tshombe. Prenant prétexte de la crise institutionnelle ainsi provoquée lors de son application, Mobutu, devenu général, s’empare du pouvoir et justifie son coup d’État de 1965 par l’anarchie créée par les turpitudes des politiciens alors taxés de politicailleurs (Bongeli 2024).
Si au nom du pragmatisme politique, la réforme constitutionnelle du premier quinquennat de la troisième République s’est réalisée sans anicroche, c’est parce qu’elle n’a pas touché les articles verrouillés, notamment le nombre de mandats présidentiels. Mais c’est en 2015, c’est-à-dire au second et dernier mandat du Président Kabila, que cette tentative a échoué. La raison est simple, c’est parce qu’elle (la réforme) a voulu toucher aux articles intangibles. A partir de l’expérience de 2015, nous pouvons dégager six (6) scénaries plausibles, si le régime Tshisekedi tient à la réforme (révision/changement) constitutionnelle, en vue d’éviter des synopsis funestes.
1. Réforme inclusiviste et triomphaliste
La réforme inclusiviste et triomphaliste est une réforme fédératrice en vue d’un succès éclatant. Cependant, ce succès n’est possible qu’à certaines conditions dont les plus importantes peuvent se résumer en une triade non exclusive. Il s’agit de :
§ Procéder aux consultations populaires pour comprendre et saisir la volonté populaire sur la nécessité ou non de la réforme constitutionnelle, à défaut de prendre des mesures assertives.
§ Mener une campagne de vulgarisation dans le but d’amener la population et les forces vives de la nation à s’approprier/réapproprier la réforme ;
§ Différer la mise en vigueur des éventuelles dispositions modifiées dès le début de la prochaine législature (2029 à 2034) c’est-à-dire en 2029. Cette précaution a l’avantage de dissiper tout soupçon, tout malentendu et tout embarras entre les initiateurs et/ou défenseurs de la reforme (révision/changement) constitutionnelle et leurs réfractaires, en vue de privilégier la cohésion nationale et l’inclusivité.
2. Reforme d’autorité
La reforme d’autorité c’est le passage en force du changement ou de la révision constitutionnelle au parlement par la majorité. Elle peut aussi signifier, s’imposer à vouloir changer, modifier ou réviser la Constitution par voie parlementaire ou référendaire, sans tenir compte des voix discordantes ou réfractaires. Plusieurs dans l’opinion et dans l’opposition voir même dans la société civile l’ont considérer comme un défi lancer à leur égard. C’est pourquoi, certaines voix dans la société civile s’élèvent pour signifier qu’il faut changer l’homme et non la loi ou la Constitution (Ciowa 2024).
Si au sein de la société civile, la désapprobation au changement de la Constitution a été modérée, dans l’opposition politique. En revanche, la réplique a été sèche, radicale et vigoureuse dans le chef de certains de ses ténors. Suite à sa rhétorique de changement de la constitution, certains opposants ont accusé le président Tshisekedi, de vouloir « s'éterniser au pouvoir » sur fond de « dérive dictatoriale », ou encore de vouloir « briguer un troisième mandat » en menant « un coup d’Etat constitutionnel » (Mulegwa 2024).
De ce qui précède, la « réforme autoritaire » peut aboutir à trois hypothèses ci-après :
Premièrement à l’Intolérance politique : la reforme autoritaire dans le sens d’imposer le changement, la révision ou la modification de la Constitution exclut le consensus et sape la cohésion nationale. Ainsi, cette imposition peut amener les initiateurs à tomber dans la manipulation et la démagogie pour faire adhérer leur projet en cachant les vraies raisons. Ainsi, en 2013, l’argument de la majorité présidentielle pour trouver l’adhésion de l’opposition était celui de changement de la Constitution ou l’inanition de la nation, tel que développé dans l’ouvrage du Boshab.
Faute d’adhésion de l’opposition, la majorité a basculé vers le changement de la loi électorale, utilisant un argument subtil : conditionner le recensement général de la population aux élections. Cependant, le passage en force de cette loi au parlement n’a pas fonctionné en raison des émeutes du 19 au 21 janvier 2015, qui ont failli déboucher sur une révolution. De plus, toute tentative visant à réprouver le changement de la Constitution ou le troisième mandat de Joseph Kabila a rencontré la répression et la criminalisation. C’est dans ce sens que BERWOUTS (2016) souligne que Kabila est resté au pouvoir après une certaine militarisation de son régime.
Cependant, le concerné, c’est-à-dire Joseph Kabila lui-même, avait entretenu un mystère par son silence, jusqu'à déclarer tardivement qu’il ne serait pas candidat, suite à la pression interne et internationale. En 2024, les arguments de la majorité au pouvoir ont débuté par des joutes verbales et des diatribes. Par exemple, le Président Félix Tshisekedi a annoncé son intention de changer la Constitution d’un ton autoritaire, déclarant : « Qui est celui-là qui va m'interdire, moi, le garant de la Nation, de modifier la Constitution ? » (Radiookapi 2024a). Cette déclaration a agacé les membres de l’opposition, de la société civile, ainsi que l’opinion publique.
De plus, le Secrétaire général de l’UDPS a irrité plusieurs personnes par ses sorties médiatiques. Pour justifier les arguments du Président Félix, il a non seulement qualifié la Constitution actuelle de malédiction pour le pays, mais a également traité de soutiens au Rwanda tous ceux qui désapprouvent le changement de la Constitution. Pour l’opposition politique, les propos d’Augustin Kabuya, secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), parti présidentiel, concernant la Constitution de la RDC mettent en péril la stabilité institutionnelle du pays et incitent à l’intolérance politique (Kankolongo 2024).
De plus, en qualifiant les opposants à ses idées de « soutiens du Rwanda », Augustin Kabuya ne fait qu’attaquer des individus et fragiliser le tissu de la société congolaise. Cette rhétorique d’intolérance politique alimente un climat de peur et d’insécurité, où toute voix discordante est immédiatement criminalisée, l’a fait remarquer l’opposition politique. Le droit à l’opposition est un principe fondamental inscrit dans les instruments juridiques nationaux et internationaux (RTR 2024).
L’interpellation du député Delly Sesanga, le 14 novembre 2024, pendant la campagne de l’opposition contre le changement de la Constitution (Radiookapi 2024b) est un signe prémonitoire d’une série d’intolérance politique, si l’UDPS persiste dans son ambition de changer la constitution du 18 février 2006.
Deuxièmement aux manifestations/révolutions : depuis l’annonce par le président Felix Tshisekedi de changer la Constitution, l’opposition politique s’organise pour faire échec à ce projet. Des manifestations contre ce changement ont commencé a émerger sous l’initiative de l’opposition et des mouvements citoyens. A titre indicatif, une campagne a été lancée par l’opposition, notamment avec le parti envol du député Delly Sesanga, au mois de novembre 2024 ; Le mouvement citoyen dénommé forum citoyen a initié, le 9 novembre 2024 vers 20 heures, un concert de casseroles pour s’opposer à cette révision constitutionnelle. A ce sujet, ils ont affiché une banderole aa la clôture du palais du peuple, siège du parlement congolais. On peut lire dans cette banderole écrite en français et en lingala : « Ne touche pas à ma constitution. Ko simba constitution na nga te ». Ce n’est pas la constitution qui pousse les gens à détourner l’argent de l’Etat ». Mais les débats et les actions contre le changement de la Constitution se sont transformer à la dérision populaire contre les dirigeants.
Désormais, il est aa constater dans les réseaux sociaux comment la population fustige la mauvaise gouvernance : en arguant : ‘c’est aussi la Constitution qui bloque ça ?’. Cette allusion fait référence aux routes délabrées, aux caniveaux non curés ou aux inondations consécutives aux pluies diluviennes. A contrario, quelques questions du type, ‘pourquoi la constitution ne bloque pas la corruption ?’ ou ‘c’est aussi la Constitution qui empêche de résoudre les problèmes d’embouteillages ?’, sont souvent lancées. Cette dynamique de dérision populaire est symptomatique d’un climat délétère et cache une frustration qui ne manquerai pas à s’exploser avec des éventuels appels à manifester contre le changement de la Constitution.
De ce qui précède, si le consensus autour du bien-fondé de ce changement n’est pas trouvé, il y a risque d’une prolifération des manifestations, avec un penchant éventuel vers la répression et les violences. Ailleurs, notamment au Burkina Faso, les manifestations politiques de 2014 contre le changement de la constitution ont tourné à la révolution. La RDC a frôlé ce même scenario en 2015 avec la révision de la loi électorale.
Troisièmement à la subversion militaire :
L’histoire politique de la RDC démontre que les querelles persistantes dans la classe politique font souvent le lit de la troisième voie. La querelle entre Kasa-vubu et Lumumba a occasionné le coup d’état et l’émergence du Général Mobutu comme Président de la République en 1965. La querelle entre l’opposition et le pouvoir entre 1990 et 1997 s’est soldée par l’avènement de l’AFDL, comme mouvement rebelle ayant pris le pouvoir en RDC sous la direction de Laurent Désiré Kabila (Ndaywel 1998).
Aussi, la persistance des querelles politiques et politiciennes agace toutes les couches vives de la nation, y compris les militaires. Entre 1990 et 1997, quelques soulèvements militaires, marqués par de pillages ont façonné négativement les structures socio-économiques de la RDC respectivement en 1991 et 1993. Il n’est pas exclu que les querelles politiciennes actuelles autour du changement de la Constitution agacent les militaires, en raison de la léthargie engendrée par ces débats parfois stériles sur le plan sociétal.
3. Rapprochement et/ou division des élites
L’opposition en RDC a coutume d’évoluer en ordre dispersé, contrairement à la majorité au pouvoir. C’est parfois la raison de leur échec face à certains enjeux notamment électoraux. Cependant, en 2015, face aux penchant de la majorité à vouloir modifier la Constitution pour offrir un troisième mandat à joseph Kabila, l’unité de l’opposition a mis un terme à ce projet. Même la subtilité de conditionner le recensement général de la population aux élections, telle qu’insérée dans le projet de la loi électorale défendu par le gouvernement au parlement, au mois de janvier 2015, n’a pas fonctionné suite à la désapprobation unanime de l’opposition et la mobilisation de la rue.
En 2024, suite à l’annonce du changement de la Constitution par le Président Felix Tshisekedi, on observe un début de rapprochement entre les membres de l’opposition, qui initient des campagnes pour mobiliser la rue contre ce changement. L’exemple, de la déclaration conjointe du 20 novembre 2024 est éloquent à ce sujet. En effet, l’opposition congolaise s’est montrée unanime pour appeler à une mobilisation contre le projet de révision constitutionnelle annoncé par le président Félix Tshisekedi, dont le deuxième et dernier mandat arrive à terme en 2028. Des représentants du PPRD, parti de l'ancien président Joseph Kabila, de l’ensemble pour le changement de Moïse Katumbi (ancien gouverneur du Katanga et candidat malheureux à la présidentielle de 2023), de ELGD de Matata Mponyo (l’ancien Premier ministre), de l’ECIDE de Martin Fayulu (ancien député et candidat malheureux à la présidentielle de 2018),) faisaient partie du mouvement. A cet effet, ils ont annoncé « des manifestations citoyennes à travers tout le pays et dans la diaspora dans les jours à venir pour défendre la Constitution du 18 février 2006 et barrer la route au Président Félix Tshisekedi » (Mulegwa 2024).
De l’autre côté, et sur un ton autoritaire, le Secrétaire Général de l’UDPS, le député Augustin Kabuya a dénoncé une union « de gens vomis par le peuple et qui ne peuvent faire nullement reculer la machine mise en place pour réviser ou changer la Constitution » (Mulegwa 2024).
Pour Christophe Rigaud, le débat qui enflamme la RDC autour du projet de modification de la Constitution est une chance inattendue pour l’opposition congolaise de sortir de sa léthargie après la victoire écrasante de Félix Tshisekedi à la présidentielle. Ultra-minoritaires, et donc inaudibles, à l’Assemblée nationale et au Sénat, les opposants au chef de l’Etat se font de nouveau entendre dans une cause commune : défendre une Constitution menacée (Rigaud, 2024).
Mais les enjeux sur le changement ou la révision de la Constitution n’a pas seulement tendance a rapproché l’opposition, mais peuvent aussi grossir son rang par la division des élites au pouvoir qui la rejoigne. C’est ce qui est arrivé en 2015 et risque d’arriver, dans l’union sacré, à cause des égaux et des ambitions électoralistes de ses sociétaires.
En effet, en 2015, le G7 (abréviature du Groupe de 7), représenté par les sept partis politiques, a adressé une correspondance au Chef de l’Etat de l’époque, Joseph KABILA, le 14 septembre 2015, pour exprimer leurs inquiétudes à la suite des velléités de révision ou de changement de la constitution et aux tentatives de réécrire la loi électorale, ainsi que leur désir de conserver démocratiquement le pouvoir dans la perspective de l’alternance politique. Cette correspondance leur a couté l’exclusion de la majorité présidentielle (MP). Ces Sept (7) partis ont finis par rejoindre l’opposition. Il s’agit des partis politiques ci-après : le mouvement social pour le renouveau (MSR), l’alliance pour le renouveau du Congo (ARC), le parti démocrate-chrétien (PDC), l’avenir du Congo (ACO), l’union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC), l’union nationale de démocrates fédéralistes (UNADEF), l’alliance des démocrates pour le progrès (MSDD).
Lorsque le Président Felix Thsisekedi a annoncé son intention de changer la Constitution, les partisans de l’UDPS ont commencé à réclamer que les membres du « présidium de l’Union Sacrée »[3] s’y prononce. C’est à dessein qu’ils ont commencé à le réclamer, devant leur silence, dans le but de connaitre d’avance qui dans l’Union Sacrée soutienne ce projet, sinon qu’ils démissionnent.
4. Réforme ratée
La « réforme ratée » c’est une révision ou un changement de la Constitution qui a connu des revers. Trois options façonnent une réforme qui n’aboutissent pas. Il s’agit d’une réforme qui a été initiée :
§ Mais elle est rejetée ou bloquée au parlement. Ce cas s’est déjà produit, au Nigeria en 2006 avec l’opposition du Sénat ;
§ Mais elle est rejetée par le référendum ; Cela s’est déjà déroulé au Chili en décembre 2023,
§ Et abouti avec succès au parlement, mais le soulèvement populaire empêche sa réalisation ou renverse le régime. Ce cas s’est produit au Burkina-Faso en octobre 2014.
5. Fracture territoriale et dédoublement constitutionnel
Le contexte dans lequel le Président Felix Tshisekedi a lancé le projet de la réforme constitutionnelle est atypique à deux titres.
Premièrement, c’est au cours de son second et dernier mandat. C’est pourquoi l’opposant Olivier Kamitatu, ancien président de l’Assemblée nationale, estime que Félix Tshisekedi semble peu enclin à apprendre de l’histoire, ‘qui enseigne que tout président engagé dans un changement constitutionnel lors d’un second mandat est, partout dans le monde, perçu comme un dictateur’ ((enquete.cd 2024).
Deuxièmement, le contexte dans lequel le Président Felix porte ce projet est celui de la rébellion du M23-AFC par le Rwanda. Ce projet arrive donc à un moment où de vastes portions du territoire échappent encore au contrôle de l’Etat congolais. Dans un pays où des pans entiers du territoire national échappent à son autorité, sa détermination à changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir est suicidaire, estime Olivier Kamitatu. Il va définitivement fracturer la RDC en plusieurs entités sous l’empire de l’une ou l’autre Constitution, affirme-t-il, soulignant les risques d’instabilité qu’un tel projet pourrait engendrer (enquete.cd 2024).
6.Sanctions pénales
Les sanctions pénales constituent l'un des scénarios les plus funestes concernant la révision ou le changement de la Constitution, si les auteurs de cette initiative tombent dans la violation de la Constitution, ce qui pourrait être considéré comme un acte de haute trahison.
En 2014, le débat sur la révision constitutionnelle, qui a galvanisé l’atmosphère politique, a mis en lumière deux tendances constitutionnelles ou deux camps. La première tendance est celle de Boshab, fervent défenseur de la révision de la Constitution, y compris des matières intangibles. Sa contribution au débat se résume dans son ouvrage intitulé Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de l’État (Boshab 2013), où il affirme que si la révision de la Constitution n'intervient pas, l'État va disparaître.
La deuxième tendance, qui s'oppose à la première, a été dirigée par André Mbata. Pour lui, aucune révision constitutionnelle n’est possible sur les matières verrouillées (Ngoy 2024). Il soutient que cette révision ou ce changement nous ramènerait plusieurs années en arrière sur la voie du constitutionnalisme et de la démocratie, tout en mettant la nation en péril. Nous avons le devoir de protéger la nation et de nous opposer à toute violation de la Constitution qui pourrait être considérée comme un acte de haute trahison.
André Mbata va très loin dans sa réflexion en évoquant les sanctions en la matière. Pour lui, « toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la Nation et l’État » (Article 64, alinéa 2) (Dom 2016).
L’imprescriptibilité signifie qu'une infraction n'est pas soumise à la prescription extinctive, c'est-à-dire qu'elle ne s'efface pas avec le temps (La Rosa 2015). En matière pénale, une infraction est considérée comme imprescriptible lorsque la poursuite de l'infraction ou l'exécution de la peine ne peuvent être paralysées par le seul écoulement du temps, comme c'est le cas pour la haute trahison. Son auteur, une fois condamné, est considéré comme un traître à l’État et à la nation. Pour André Mbata, la haute trahison est une infraction très grave en droit constitutionnel congolais (Dom 2016), pour quatre raisons :
1. Infraction contre la Constitution : Elle constitue une atteinte à la loi fondamentale elle-même.
2. Imprescriptibilité : Elle ne s'efface pas avec le temps. À l'instar des nazis coupables de génocide lors de la Seconde Guerre mondiale, les auteurs de l’infraction de haute trahison peuvent être inquiétées à tout moment.
3. Conséquences morales : Cette infraction pourrait entraîner des conséquences morales pour les descendants, qui seraient perçus comme la progéniture d’un traître à la Nation et à l’État.
4. Infraction contre la Nation et l’État : L’État, qui existe pour longtemps, pourrait se réveiller à tout moment pour poursuivre ceux qui se seraient engagés, directement ou non, dans des actes de « haute trahison » (Dom, 2016).
Cependant, avec l’accession au pouvoir de l’UDPS, dont il est un membre influent, André Mbata a changé de discours. Pour lui, « même la Bible change, pourquoi pas la Constitution ? » (Kid 2024).
Conclusion
La réforme de la Constitution est l’une des causes qui alimentent l’instabilité en RDC. La préoccupation majeure dans cette réflexion est de comprendre pourquoi et comment la révision de la Constitution ou ses tentatives pourraient-elles alimenter cette instabilité en RDC. En analysant la bipartition constitutionnelle à l’aune de la politique protestataire en RDC, les éléments de réponses à cette préoccupation ont été retrouvés dans le pragmatisme politicien et le décryptage prospectiviste.
Le pragmatisme politicien amène les dirigeants et les politiciens à vouloir obtenir le résultat a tout prix en bafouant certains repères sacrés. L’intangibilité de la Constitution englobe quelques des uns de ces repères sacrés. Cependant, alors que certains évoluent avec le pragmatisme politicien, d’autres adoptent une posture idéelle pour défendre le respect de la constitution. C’est dans ce sens que le débat sur la tangibilité et l’intangibilité de la Constitution galvanise l’atmosphère politique et plonge la RDC dans l’instabilité. C’est dans ce contexte que, d’une manière prospective, cette réflexion a formulé quelques scénaries probables liés à la réalisation ou non de la réforme constitutionnelle en guise des futures possibles. En d’autres termes, six futurs possible s’ouvres a la RDC. Il s’agit de la reforme inclusiviste et triomphaliste (1), la reforme d’autorité (2), le rapprochement et/ou division des élites (3), la reforme ratée (4), la fracture territoriale et dédoublement constitutionnel (5), les sanctions pénales (6).
Ainsi, les différentes scénaries présenté dans cette réflexion, ne sont que des éléments susceptibles d’éclairer l'action et la réalisation de la réforme constitutionnelle envisagée pour un avenir radieux de la RDC.
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[1] La notion de « glissement » fait allusion au renvoi, au report et à l’ajournement des élections, au-delà des délais constitutionnels. Ceci dans le but d’occasionner et d’entraîner une prolongation du mandat du Président sortant. Pour en savoir plus, lire (Nyenyezi Bisoka et al. 2017)
[2] Evariste Boshab, a été Secrétaire Général du parti présidentiel, le PPRD, de 2008 à 2015.
[3] Le présidium de l’Union sacrée, plateforme parlementaire du Président Felix Tshisekedi est dirigé par six patrons : Augustin Kabuya, SG de l’UDPS ; Jean Pierre Bemba, président du MLC ; Vital Kamerhe, président de l’UNC ; Sama Lukonde, ancien Premier ministre ; Modeste Bahati Lukwebo, président de l’AFDC-A et ancien Président du Sénat ; et Christophe Mboso, ancien président de l’Assemblée nationale.




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